Je trouve que le meilleur aspect, l’idée la plus séduisante de cette dystopie, ce qui est un récit de contre-utopie à résonance sinistre et souvent pédagogique, je trouve que ce qui est plaisant est d’avoir situé le récit dans une sorte de monde parallèle aux références empreintes des années 50. Le décor, les vêtements, les bibelots sont directement issus de ces belles années étasuniennes, celles de la grande prospérité et de l’impérium le moins contesté sur le Monde libre. Le décalage des tenues American way of live et de l’omniprésence terrifiante totalitaire robotisée du Pouvoir anonyme technocratique est ainsi rendu à la fois plus distant et plus angoissant.
Le film de Terry Gilliam ne mérite sans doute pas les gloses infinies qui lui sont consacrées et les recherches d’influence et de clins d’œil tirés par les cheveux (je reconnais que l’image est hardie !) qui vont à l’infini comme l’interminable article de Wikipédia par exemple, mais, sans doute un peu trop long, est plein d’inventivité, d’images brillantes.
Et de personnages stupéfiants. Pour donner un fort sentiment d’écœurement, il n’y a pas mieux, par exemple, que les deux vieilles choses narcissistes folles, Mrs Lowry (Katherine Helmond), la propre mère du héros et Mrs Terrain (Barbara Hicks), son amie. L’une et l’autre adeptes de chirurgie esthétique, la première par le scalpel, la seconde par l’acide (!), l’une qui rajeunit à tire-larigot, l’autre qui, au fil des images, obstinée et confiante en son médecin nain, se dégrade à vue d’œil jusqu’à finir en bouillie dégoûtante.
Le cauchemar est habilement rendu grâce à des images à tonalité brun-verdâtre, un peu comme dans Barton Fink ou Le grand saut de Joel Coen ou dans les films de Jean-Pierre Jeunet. Et le décor de cité rationnelle impitoyable qui fait songer à la Gotham city des Batman est aussi parfaitement désespérant qu’il le faut.
La science-fiction est pleine de ces histoires de mondes parfaits totalitaires déréglés par un infime accident imprévisible pour les grands planificateurs. Dans Brazil, c’est un insecte exotique venu sans doute des lointaines forêts d’Amazonie (d’où, en partie, le sens du titre ?) qui dérègle la machine. Le battement des ailes de ce papillon-là, en tout cas, va suffire à changer la vie du doux Sam Lowry (Jonathan Pryce), lui faire rencontrer littéralement la femme de ses rêves, Jill Layton (Kim Greist) et le rebelle Harry Tuttle (Robert De Niro).
Le soubassement intellectuel du film est d’une très intéressante ambiguïté. Comment se sortir de l’infamie totalitaire ? La rébellion, le terrorisme nihiliste des compagnons de Tuttle n’est sans doute pas la solution, puisqu’il tue et ravage aveuglément et laisse un charnier de pauvres victimes innocentes ; mais comment se satisfaire de la seule échappatoire du rêve qui permet d’échapper à la réalité ?
C’est ainsi que Lowry quitte ce monde, dans des instants longuement dilatés ; on pense, à ce moment précis à La rivière du hibou de Robert Enrico, à toute cette vie songée qui s’écoule durant une brève seconde…