Dans une époque où le dénigrement de la France est presque devenu un sport national pour des gens qui pourraient parfaitement aller voir ailleurs si c’est mieux, il est bien agréable de découvrir un film solide et bien ancré dans la fierté nationale et l’héroïsme sans jactance. Carillons sans joie n’a pas d’autre qualité que de rappeler à ceux qui regardent ce film, unique réalisation de Charles Brabant, que les Français, écrasés par la défaite de 40, ont su, souvent et partout dans le monde, montrer qu’ils pouvaient relever la tête et entrer sans crainte dans la fournaise. La sublime Armée des ombres le montre avec la résistance intérieure, Paris brûle-t-il ? dans le grand mouvement de la Libération. Un taxi pour Tobrouk montre l’action des Forces françaises libres dans ce curieux combat pour la domination de l’Afrique du Nord, région stratégique parce qu’elle est un des chemins du pétrole et parce qu’elle est très proche des chemins d’invasion de l’Europe centrale où la Bête s’est établie.
Voilà un paragraphe un peu emphatique, un peu exalté pour évoquer un film qui me semble trop oublié, alors qu’il est solidement bâti. Bâti, au demeurant, autour d’une solide distribution ; comme je ne cesse de le répéter, un film se construit bien largement sur l’épaisseur de cette distribution. Quelques figures majeures, bien sûr et, pour le film, Raymond Pellegrin (alors premier rôle incontestable), Paul Meurisse et Dany Carrel. Mais tout autour on densifie : Roger Hanin,Roger Dumas et même Louis Seigner et Georges Wilson en guest-stars. Une fois que vous avez ces fondations, cette ossature, vous pouvez naviguer l’esprit serein.
De quoi s’agit-il ? D’un fait d’armes que quelques soldats de l’armée d’armistice, censée respecter à la lettre les conventions passées le 22 juin 1940, ont pu réaliser lors des premiers jours de l‘Opération Torch de novembre 1942, c’est-à-dire du débarquement allié au Maghreb. Le Maroc et l’Algérie se laissent doucement envahir ; la Tunisie, dont le Résident général est une vieille baderne maritime, l’amiral Esteva, fidèle jusqu’au bout des ongles au régime de Vichy, est plus réticente. Mais il est certain que la situation politique est complexe et explosive : en surface, les Allemands respectent la fiction de la souveraineté vichyste et beaucoup se demandent vers qui doit aller leur fidélité.
Une compagnie est envoyée par les autorités vichystes de Tunis pour garder le pont de Medjez el-Bab, seule voie d’accès possible entre Algérie et Tunisie. Compagnie commandée par le capitaine de Lambérieux (Paul Meurisse), officier de carrière presque caricatural dans le genre jugulaire/jugulaire et service/service, homme froid, élégant, sanglé dans son uniforme, ses certitudes, son sens de l’honneur et du service. Mais la plupart de ses hommes sont animés par l’esprit de résistance, en premier lieu le sergent-chef Bourgeon (Raymond Pellegrin) qui exerce une sorte de magistère sur ses camarades sous-officiers et leurs soldats. Parmi qui Maurice (Roger Hanin), grande gueule tonitruante, hâbleuse, courageuse, idiote et (un comble !) antisémite ; et cela alors qu’il a noué une relation avec Léa (Dany Carrel), jeune fille émancipée qui a entendu parler de l’attitude qu’ont les Allemands en Europe pour son peuple et qui cherche à l’avertir de l’horreur ; mais qui tombe sur la sorte de fatalisme représenté par son père (Georges Wilson) et les anciens de la communauté. Et d’autres braves gars, Charlier (Roger Dumas), moqué par tous parce que son prénom est le malencontreux Adolphe (qui pouvait savoir !!) et d’autres encore, Max Montavon ou Alexandre Rignault. Des gars qui ne demandent pas mieux que de se battre en attendant l’arrivée des soldats des États-Unis.
Eh bien ces gars-là, qui n’étaient qu’une poignée dotée d’un armement minable ont pu tenir, grâce à la ruse et l’intelligence des situations pour permettre aux Alliés d’arriver et d’aller libérer la Tunisie. Un fait d’armes bien oublié.
On jugera, non sans pertinence, que Paul Meurisse, qui incarne avec rigidité et élégance l’officier de carrière de Lambérieux paraît trop âgé pour n’avoir que le grade de capitaine ; de fait l’acteur, en 1962, lors du tournage du film, avait déjà 50 ans ; on chipotera sur l’intervention de Dany Carrel et ses intrigues amoureuses, celle qui se défait avec le goujat Hanin, celle qui s’esquisse avec l’excellent Pellegrin. Il se peut aussi que certains s’étonnent devant l’ignorance des villageois juifs sur l’ignorance du sort de leurs coreligionnaires en Europe. N’empêche que le film, que je surcôte un peu, tout à fait à dessein, est une bouffée de courage.
Et cela même – surtout ? – s’il se termine par le massacre des glorieux défenseurs du pont de Medjez el-Bab.