Ni flacon, ni ivresse.
Je n’ai pas de particulière prévention contre le cinéma de Cédric Klapisch, qui n’est certainement pas le phare lumineux du cinéma français, mais qui n’est pas non plus sa honte. On peut dire plutôt du bien du Péril jeune, de L’auberge espagnole et de Paris par exemple ; en tout cas on ne s’y ennuie pas. Mais il me semble qu’il a perdu la main et qu’il ne parvient plus à trouver un scénario intéressant, qui lui permette, sans éclat mais sans lourdeur, de poursuivre sa petite entreprise. C’est comme ça, quand il n’y a pas assez de substance ou plutôt de substrat : on épuise vite la terre arable.
Ma métaphore, en l’espèce, n’a qu’une pertinence minimale puisque Ce qui nous lie tourne autour de la vigne, plante qui ne produit que de médiocres vins dans les terres grasses et qui s’épanouit au mieux dans les sols gravillonneux composés d’éboulis fort anciens. Mais pour réaliser un film où des questions aussi primordiales que la valeur vénale des terres, les questions insolubles d’héritages qui en découlent et la confection de vins dont la rareté et les prix terrifiants peuvent inciter les viticulteurs à certaines facilités (et quelquefois à des trafics) est une assez grande gageure. La Bourgogne, où se passe le récit, en plein cœur de la côte de Beaune ne représente que 3% de la production française (mais 6,5% des Appellations d’origine) et certains de ses crus (la Romanée-Conti notamment) sont même inachetables.
Il y a quelque chose d’assez fascinant dans ce phénomène et il faut donner acte à Cédric Klapisch de montrer avec une grande honnêteté la passion qui va jusqu’à la sévérité de ceux qui vivent de la vigne, éprouvent pour elle et pour le vin une passion dévorante qui pourrait paraître aberrante à qui n’a jamais goûté que du Vittel ou du Coca-Cola. On doit tailler la vigne, la garantir des gelées tardives, la protéger des maladies et des insectes, la soigner presque cep par cep, prier pour que la fleur survienne au bon moment, guetter tout l’été les conditions climatiques, en espérant suffisamment d’eau – pour que le grain grossisse comme il faut – et suffisamment de soleil pour qu’il mûrisse. Et, fin d’été ou automne venu, selon le temps qu’il a fait, et à partir de la date autorisée (le ban) vendanger intelligemment selon le degré de maturation des parcelles. Puis, enfin, récolte faite, veiller sur la fermentation et tout ce qui s’ensuivra jusqu’à la mise en bouteille, première étape d’une longue attente…
Ce que j’écris là n’est pas forcément très clair, mais je ne suis pas certain que Ce qui nous lie l’ait été pour ceux qui ignorent tout de cet art précieux de l’élaboration des grands crus, qu’une belle époque de ma vie m’a permis d’approcher. Toujours est-il donc que Klapisch montre très bien ces différents épisodes, grâce à des images souvent bien belles. Il est vrai qu’il a planté ses caméras dans ce qui est sans doute le plus beau paysage de la côte vinicole, la combe qui s’insère entre Meursault et Monthelie et que les vallonnements qui vont (du nord au sud) de Beaune jusqu’à Santenay sont les plus civilisés qui se puissent. Car le vin est affaire de civilisation. Qui n’a jamais admiré le long déploiement des rangées de vigne, taillées à la perfection qu’elles portent le vert frais du printemps, le vert profond de l’été, le rouge, l’or et le brun de l’automne et même le dénudement des ceps de l’hiver, ne peut pas comprendre combien l’Homme sait ajouter à la Création.
Le cinéaste aurait pu tourner une sorte de documentaire tout enluminé de cette grande beauté, documentaire complété par une intrigue minimale où la mort du père place les trois héritiers, Jean l’ainé (Pio Marmaï), Juliette, la cadette (Ana Girardot) et Jérémie le benjamin (François Civil) devant le dilemme si fréquent dans les domaines bourguignons : comment payer les droits de succession sinon en vendant tout ou partie des terres ? Il aurait pu y introduire aussi l’envie qu’a Juliette de revenir à une culture plus raisonnée, sans pesticides, en biodynamie et de produire des vins moins immédiatement commercialisables, moins éraflés (c’est-à-dire où la rafle – le bois – est moins éliminée, ce qui donne une plus grande structure au vin, en retarde la maturité mais en prolongera la conservation), ce qui est aussi un dossier important.
Malheureusement Klapisch s’est senti obligé de plaquer deux ou trois intrigues parasites, sentimentalo-pleurnicheuses qui finissent par manger tout l’intérêt de son film. Bijou en toc dans un bel écrin.