Adorables créatures.
Nous sommes sûrement de moins en moins nombreux à nous souvenir de Zizi Jeanmaire, ses jambes interminables et sa voix faubourienne dont certaines inflexions faisaient songer, en plus rauque et moins subtil, à celle d’Arletty. Danseuse classique initialement, femme du chorégraphe Roland Petit, elle devint une des plus notoires meneuses de revues du Casino de Paris avec son truc en plumes (chanson d’ailleurs issue de Un soir au music-hall d’Henri Decoin en 1956).
Toujours est-il que la célébrité de cette belle fille aux cheveux noirs coupés très court a incité Decoin en 1957, à repasser le plat et à réaliser Charmants garçons où Zizi lèverait la gambette lors de quelques numéros de music-hall et chanterait des chansons destinées à un certain succès, notamment Qu’on est bien (dans les bras d’une personne du sexe opposé) de Guy Béart et La gambille (avec des paroles de René Fallet).
Hélas, amis, mon cœur saigne à avouer que les numéros de music-hall présentés n’arrivent pas au quart du tiers de la cheville de ce qu’ont réalisé avec bonheur les Étasuniens et qu’on est vaguement gêné de devoir absorber les grotesques chorégraphies de Roland Petit, notamment celle de Qu’on est bien où Zizi, revêtue d’un fourreau en panthère se roule sur les dos musculeux de quatre bellâtres à la physionomie particulièrement crispante. D’autant que le talent d’interprète de la vedette n’est tout de même pas de niveau supérieur.
Si l’on passe sur cet aspect, qui ne vaut pas tripette, Charmants garçons ne manque pas, pour autant, de qualités. Il fait partie de cette veine malicieuse, légère, presque coquine, presque friponne qui appelait les gros yeux de la bien-pensance de l’époque et qui mettait en scène des personnages à moralité élastique et des situations où le bonnet s’envoie facilement par dessus les moulins. Et si je titre cet avis Adorables créatures, c’est en référence (et en révérence !) à un délicieux film de Christian-Jaque où les chassés-croisés amoureux sont mis en scène avec beaucoup de liberté et de talent.
Lulu Natier (Zizi Jeanmaire, donc), chanteuse et danseuse d’un certain renom, possède un cœur tendre et facilement abordable. Follement amoureuse, en apparence, de Robert (François Périer), elle déchante lorsqu’elle apprend qu’il lui a caché être marié. Robert qui est le meilleur ami d’Henri (Renaud Mary), célibataire endurci (Pourquoi veux-tu que je passe à la Mairie alors que le Salon des Arts Ménagers me donne toute satisfaction ?). Lulu a fortuitement rencontré Alain (Daniel Gélin), monte-en-l’air et pickpocket de vocation ; par ailleurs le richissime Edmond (Gert Fröbe, assez loin de Goldfinger !) s’efforce de la mettre dans son lit. En fuyant tout ce joli monde, elle croise la route de Max (Gil Vidal), assez répugnant gigolo et de Jo (Henri Vidal), champion de boxe voué, du fait de son entraînement, à une sobriété… totale. En fait, elle aimerait bien que Charles, son imprésario (Jacques Dacqmine) qui la rassure et la choit ait pour elle d’autres sentiments que ceux d’une grande tendresse ; mais, manque de pot, Charles est beaucoup plus intéressé par les jeunes gens, notamment les grooms des palaces, que par les dames…
Ces péripéties sont agréablement racontées par un Decoin qui a du métier et le sens du rythme. Comme Charles Spaak est à la manette des dialogues, il y a, sur ce plan, quelques agréables pointes du type (lors d’une conversation entre Lulu/Jeanmaire et Edmond/Fröbe) : – Je ne suis pas une femme qu’on achète ! – C’est justement ce qui fait votre prix. La galerie des mufles est en place. Que demander de plus pour un gentil petit film qui n’ennuie pas ?