Forcément, en redécouvrant Codine d’Henri Colpi quarante ans après sa sortie, on songe aux films d’Emir Kusturica et notamment à Chat noir, chat blanc qui se passe lui aussi le long de l’immense Danube, long paysage civilisationnel qui transcende même les différences entre les Serbes, Slaves du Sud (Yougo-Slaves) et les Roumains, Latins mâtinés de Byzantins. Dans l’une et l’autre culture, il y a de la violence, de la mélancolie, de la folie mélodieuse, de la passion, un certain mépris des règles. Et puis de la poussière, des masures qui tiennent debout on ne sait comment, des animaux qui courent partout, des superstitions invraisemblables, de la cruauté. Et encore, et beaucoup, la mort qui rode ici et là.
Aux alentours de 1900, dans le quartier le plus déshérité d’une ville du delta du Danube, où viennent de s’installer Zoitza (Nelly Borgeaud) jeune blanchisseuse misérable et son fils de dix ans Adrien (Razvan Petresco), une drôle d’amitié s’établit entre l’enfant et le colosse Codine (Alexandru Virgil Platon), qui sort de dix ans de prison et a coutume, chaque soir, de jeter brutalement à la porte, fût-ce sous le déluge, sa vieille mère Anastasia (Germaine Kerjean). Codine, brute révoltée contre l’injustice, exerce un grand empire sur tout le quartier, voyoucratie incluse, mais c’est un cœur simple, épris d’affection, qui a scellé avec une petite frappe, Alexis (Maurice Sarfati), un pacte de mort et de sang, qu’il va renouveler avec Adrien, dans une scène d’une grande beauté, sur un bras mort du fleuve. Codine est aussi l’amant de la belle fille légère Irène (Françoise Brion).
L’influence du garçon bien élevé – qui, parallèlement est fasciné par l’homme – s’exerce sur l’hercule et on apprend peu à peu pourquoi il a tué et donc pourquoi il est allé dix ans dans les mines de sel et pourquoi il déteste sa mère qui l’a vendu et volé quand il était petit (Mes parents me détestaient parce qu’ils étaient avares ; avares à se manger la boue dessous les ongles).
Comme chez Kusturica, le grotesque côtoie le sordide. Un soupirant trop téméraire d’Irène, maîtresse de Codine, lui roucoule une sérénade ; survient Codine qui contraint sous la menace le gommeux de se dénuder sous les ricanements complices de tout le quartier. Et brusquement un des rieurs s’effondre : c’est le choléra. Comme dans Le hussard sur le toit, les gens sont saisis de tétanie, vomissent le riz au lait, si abondamment décrit par Jean Giono, la quarantaine est instituée. et Codine sauve Zoitza, la mère d’Adrien, envahie par la maladie, en frottant son corps nu d’alcool comme Angelo le fait à Pauline de Théus.
Je ne raconte pas la fin, qui est tragique et cruelle, violente et sauvage. On la pressent, parce que (c’était une idée-force de Giono, le pire du choléra est la perte du sens à quoi il nous oblige…).
Beau film grave, peut-être un peu lent, mais jamais lourd ni ennuyeux. Curieux destin de son réalisateur, Henri Colpi qu’un supplément présente un peu amer d’une carrière parcimonieuse qui n’a jamais vraiment décollé, alors qu’elle a été couronnée de prix (Palme d’or à Cannes en 1961 à égalité avec Viridiana de Bunuel pour Une aussi longue absence (qui avait reçu le prix Louis Delluc l’année précédente pour le même film), Prix du scénario, à Cannes encore, (pour Codine) ou reçu un certain succès public et critique (Heureux qui comme Ulysse, dernier film de Fernandel). Il y a des gens qui ont un tout petit temps d’avance ou de retard…