Les films où se mêlent et s’entrecroisent les destins de personnages qui n’ont apparemment pas de rapports directs entre eux sont toujours délicats à conduire : il faut tout à la fois individualiser, identifier, faire reconnaître les personnages mis en scène et brosser le panorama de la scène générale où tout le monde s’agite. En d’autres termes, l’idéal serait à la fois de scruter chacune des fourmis qui s’affairent – apparemment de façon absurde – et en même temps la fourmilière, dont la cohérence, la structure et l’harmonie constituent un exemple admirable.
Voilà que ce film-là, constellé de destins divers, n’est pas mal du tout et appelle l’attention. Et ceci même si on se demande, après l’avoir vu, si on se rappellera, après coup, le défilement de toutes les aventures, de toutes les péripéties. Je l’ai écrit vingt fois : les gens que l’on croise dans la rue, dont on entend, dans les bistrots, dans les restaurants, dans les autobus, les propos dont on devine à peine la raison, fascinent à proportion qu’ils s’éloignent des chemins de votre propre vie.
Cela étant, le film de Paul Hagis a l’immense mérite de ne pas maquiller la réalité et de ne pas donner les couleurs du piteux vivre-ensemble, de montrer les impasses du multiculturalisme et l’ensauvagement sans fin de nos sociétés. Aucune race ne vaut mieux qu’une autre, c’est entendu, mais on doit bien admettre, en le regrettant comme il faut, qu’elles ne sont pas prêtes à évacuer leurs animosités, leurs préjugés, leurs agressivités mutuelles, leurs mépris réciproques. Appelez ça comme vous le voulez mais prenez-en au moins conscience. Il n’existe pas, ou plus de communauté nationale, mais des multitudes de communautés qui se côtoient, s’ignorent (au mieux) et, le plus souvent s’exaspèrent, s’insupportent, se méprisent, se détestent.
Collision montre ça presque cliniquement ; pourquoi Ryan (Matt Dillon), policier de Los Angeles, un policier blanc humilie-t-il jusqu’au dégout Cameron (Terrence Howard), notoire réalisateur de cinéma qui a le malheur d’être le mari de Christine (Thandie Newton), une jolie blanche ? Tout simplement parce que Shaniqua (Loretta Devine), l’employée noire de l’assurance de son père a refusé de prendre en charge des soins médicaux. Pourquoi Farhad (Shaun Toub) petit commerçant d’origine iranienne qui maîtrise mal la langue anglaise manque-t-il d’aller tuer au revolver le serrurier Daniel (Michael Peña) qu’il accuse d’avoir mal arrangé sa serrure alors qu’il n’a pas compris que l’artisan lui conseillait de changer sa porte ? Pourquoi Anthony (Ludacris), suprématiste noir et Peter (Larenz Tate), son copain plus sage et plus calme écrasent-ils sans états d’âme un Asiatique qui a le malheur de se trouver sur leur chemin ?
Pourquoi ? Parce que personne n’a le même langage, la même façon d’appréhender les choses, et que tout le monde se méfie de tout le monde.Tout Collision n’est que démonstration : on ne peut pas mélanger les communautés et civilisations. C’est triste à dire, c’est évident à constater.
On ne voit pas très bien comment les choses peuvent évoluer dans un sens harmonieux ; on ne voit même que la fascinante marche à l’abîme.
Nos enfants vivront les invasions barbares.