Quand on n’a rien à dire mais qu’on veut tout de même tourner un film (pourquoi ? pour s’occuper, pour boire des coups avec des copains dans un cadre charmant et champêtre, pour zieuter des jolies filles, parce qu’on a des arriérés d’impôts à régler ou que l’appartement est en réfection et que, tant à coucher à l’hôtel, autant que ce soit payé par la production ?), quand on n’a rien à dire, donc, mais qu’on est Bruno Podalydes, garçon doué et chéri des médias, on ne s’arrête pas à de mesquines contingences : on tourne, sans se préoccuper qu’on va tourner n’importe quoi.
Voilà d’abord la mise en scène d’un couple ni plus ni moins intéressant que tous ceux qui sont présentés dans n’importe quelle émission de télévision, Michel (Bruno Podalydes) et Rachel (Sandrine Kiberlain). Petit bémol : les enfants sont absents et le mari – qui paraît par ailleurs et à tout moment complètement dans la lune – éprouve une passion collectionneuse pour l’Aéropostale des temps de Didier Daurat et de Jean Mermoz.C’est pour cela qu’il s’achète un kayak dont le profilage le fait songer aux empennages des biplans d’avant-guerre et qu’il décide d’utiliser dans une sorte de raid solitaire ; voilà la première demi-heure passée, absolument inutile mais sans quoi le film, réduit à la paresseuse navigation sur un bout de rivière et dans l’encalminage paresseux de l’aventurier d’eau douce dans une auberge paisible n’aurait pas pu atteindre la longueur réglementaire du long métrage.
Échoué là un peu par hasard, Michel prend racine entre la patronne, Laetitia (Agnès Jaoui), veuve tourmentée par sa chasteté forcée, Vimala Pons, charmante déjà remarquée dans la bizarre Fille du 14 juillet), qui attend que son petit ami, guitariste va-nu-pieds réapparaisse) et deux silhouettes cocasses, Christophe (Michel Vuillermoz) et Damien (Jean-Noël Brouté). Au demeurant on ne saura jamais pourquoi ces deux personnages pittoresques sont l’un pour l’autre (frères ? copains ? amants ?) pourquoi Christophe claudique affreusement et pourquoi ils passent leur temps à tout repeindre en bleu, lorsqu’ils ne sont pas attentifs à la confection de leur absinthe.
Voilà d’ailleurs un de mes rares sujets de satisfaction de Comme un avion : la découverte d’une superbe carafe dotée de quatre becs verseurs qui permettent de faire couler goutte à goutte sur le sucre, lui-même posé adroitement sur la cuillère ajourée, l’eau glacée dans la liqueur qui se mordore : c’est un peu court pour être ravi… Je n’ai pas, par principe, l’exigence forcenée qu’un film donne toutes les explications aux questions qu’on peut se poser sur tel ou tel protagoniste et je ne demande pas non plus que tout soit d’une absolue cohérence.
Encore faut-il qu’il y ait, dans les rôles, un minimum de substance et d’épaisseur qui permette de passer sur la légèreté du sujet. Rien de tout ça ici, sinon quelques images fluides de la rivière fendue par le bruit de soie du kayak (mais ce n’est pas très difficile de faire joli avec ce genre de scènes). Quoi d’autre ? Des choix musicaux agréables, des acteurs qu’on aime bien… Cela étant, quand on voit intervenir en guest stars Pierre Arditi, en pêcheur irascible et Noémie Lvovsky en voisine nymphomane, on est conforté dans l’idée que tout ce petit monde s’est retrouvé aux frais du CNC en pleins copinage et connivence, comme je le soupçonnais plus haut.
Comme on disait naguère, Passe-moi la rhubarbe, je te passerai le séné.