La noirceur absolue
« Noir, c’est noir« , comme dit l’autre ! Et lorsqu’on fait adapter un roman noir d’un auteur noir (« 1280 âmes » de Jim Thompson) par un scénariste noirissime, Jean Aurenche
, il y a toute chance pour que le résultat soit des plus sombres !
Aurenche est (avec Bost
) le scénariste habituel des films d’Autant-Lara
dont on peut dire que l’Humanité n’est jamais présentée sous un jour riant (à preuve, pour qui en douterait, La traversée de Paris
ou, mieux encore, L’auberge rouge
), mais toujours dans une optique sarcastique : c’est moins les drames individuels, la douleur des malheureux que les ridicules de l’espèce humaine et cette sorte de nocivité qui lui est inhérente.
Coup de torchon
est le film de Tavernier
sûrement le plus proche d’Autant-Lara
, parce qu’il ne donne aucun espoir, n’offre aucune ouverture, ne présente aucun personnage positif ; il n’y a là que cinglés, salauds, lâches, brutes, crétins satisfaits, salopes vulgaires, nymphomanes idiotes et autres spécimens d’une humanité dégoûtante ; on voit très bien pourquoi, à la fin Lucien Cordier (vraiment magistral Philippe Noiret
) tire sur tout ce qui bouge et serait prêt à exécuter le monde entier si la chose lui était possible : parce que le pus et la sanie débordent de partout, et recouvrent la terre, comme l’implacable soleil d’Afrique recouvre la savane.
Le désespoir est aussi aveuglant que ce soleil-là, et il n’y a pas un Juste qui mérite qu’on retienne les coups du tireur pour que la Cité soit sauvée.
Distribution éclatante : Isabelle Huppert en contre emploi total d’une idiote folle de son corps, Stéphane Audran
en acariâtre épouse adultère, Eddy Mitchell
excellent en pique-assiette lâche et agressif tout à la fois, Guy Marchand
en réclame vivante de la veulerie, Jean-Pierre Marielle
et Gérard Hernandez en salopards complets, cruels, racistes, brutaux…
La musique obsédante, désespérante, déchirante de Philippe Sarde, la photo de Pierre-William Glenn
, les décors d’Alexandre Trauner
rivalisent de qualité.
Un film prodigieux, méchant comme tout, rare dans le cinéma français…