Moyen, très moyen…
Moyen métrage, certes (48 minutes) d’un format assez rare et qui correspond, en littérature, à la nouvelle, illustrée par Maupassant ; je gage que La maison Tellier, deuxième volet du Plaisir, un des chefs-d’œuvre de Max Ophuls doit à peu près avoir cette durée là (sans doute un peu moins). Mais un format resserré qui permet de poser une idée et de la développer suffisamment sans avoir besoin de l’entourer de digressions périphériques qui, trop souvent, en gâchent l’originalité.
Mais moyenne qualité, aussi et qui n’a d’intérêt que pour ceux qui attachent de l’importance au parcours de Jean Grémillon, capable du meilleur (Gueule d’amour, Le ciel est à vous) comme du pire (Lumière d’été, Pattes blanches) mais jamais de l’insignifiant. On peut regarder Daïnah la métisse comme un brouillon esthétisant, encore empreint du constructivisme du cinéma muet, de ses angles de prise de vues acrobatiques, souvent picturaux, très inventifs, mais à la longue un peu répétitifs, trop esthétisants pour être pleinement convaincants ; c’est en tout cas un cinéma qui lasse un peu lorsque le récit est aussi mince et traité à la va-vite, alors qu’il est riche de potentialités.
Un paquebot luxueux. Sur le bateau, Smith (Habib Benglia), noir, illusionniste qui fascine chaque soir le public de la croisière et sa femme, Daïnah (Laurence Clavius), ravissante métisse dont l’occupation principale et proclamée est d’attiser le désir des hommes, ce que son mari lui a longtemps permis jusqu’à ce qu’il commence à en prendre ombrage. Et puis l’habituelle cohorte d’oisifs et de vieilles filles (l’encore à peu près jeune mais déjà fort laide Gabrielle Fontan) passant son temps à siroter des cocktails et à danser le tango et le cake-walk.
Il y a là-dedans une scène assez malsaine, morbide, presque et très fascinante : le bal masqué donné lors de la soirée de passage de la Ligne, c’est-à-dire de l’Équateur, mythique instant qui, aux temps où les voyages étaient plus rares qu’aujourd’hui, représentait pour les passagers une sorte de volupté initiatique et donnait lieu à des festivités carnavalesques. Les masques arborés par tous les fêtards font songer, par leur aspect torturé, inquiétant, agressif à ceux de l’orgie de Sommerton d’Eyes wide shut et montrent moins le goût de la ripaille que celui de l’hypocrisie, de la jalousie, de la méchanceté. Daïnah, quittant la soirée, excite et avive le désir d’un des mécaniciens du bord, Michaux (Charles Vanel) qui vient de quitter son service de bagnard de fond de cale. Il veut la prendre, elle se défend, le mord jusqu’au sang. Le lendemain, visitant la salle des machines, elle le reconnaît à son bras bandé.
Elle disparaît. Qui l’a tuée ?
Au débit de Grémillon, l’effleurement trop vague des personnages, principaux et secondaires, à qui on n’accroche jamais. Et c’est bien regrettable : Laurence Clavius, qui interprète Daïnah porte en elle une sensualité brutale, exotique, immédiatement charnelle qui fait vite saisir la fascination qu’elle représente pour tous ceux qu’elle approche ; son mari, Habib Benglia, parvient parfaitement à représenter la frustration qu’il éprouve devant le libertinage de sa femme, qu’il a d’abord accepté (encouragé ?) et qui le torture, désormais. On n’a jamais vu Charles Vanel mauvais au cinéma, même si là son rôle est un peu fruste et limité.
Au crédit du réalisateur sa faculté de filmer l’atmosphère du paquebot, les étranges cheminements de passerelles et d’escaliers, de chaudières et de coursives mais aussi l’ambiguïté sévère de la fin du film. Smith tue Michaux, qu’il a accusé d’avoir assassiné Daïnah. Mais est-ce que ce n’est pas lui, le meurtrier ?
Finalement, je me dis, en pleine contradiction avec moi-même, qu’un plus long format de film n’aurait pas été superflu…