Dites-lui que je l’aime

À caractère orageux.

Le deuxième film de Claude Miller a été un échec cinglant alors que son premier, La meilleure façon de marcher avait été regardé et célébré. On se demande pourquoi il n’y a pas eu d’acceptation d’un ouvrage doté d’un scénario habile et intelligent (tiré d’un roman de Patricia Highsmith au demeurant) et très bien interprété par les alors bien jeunes Gérard DepardieuMiou-Miou voire Dominique Laffin et par le tonitruant, surprenant, exceptionnel Claude Piéplu. Des maladresses, ici et là, une conclusion inutile, même choquante et des mystères qui fricotent et qui ne s’imposaient pas.

C’est l’histoire d’un fou. D’un fou dissimulé, paré de tous les éléments de la respectabilité petit-bourgeoise, d’une surface sociale suffisante, d’une assurance tranquille. Mais qui porte en lui une folie meurtrière, destructrice ; meurtrière et destructrice de lui-même, d’ailleurs : une obsession malsaine, maladive, totalement fantasmée. David Martinaud (Gérard Depardieu), sans doute directeur d’une petite agence bancaire dauphinoise, nourrit depuis toujours une passion pour Lise (Dominique Laffin), petite camarade d’enfance qu’il aurait pu épouser, dans la France encore tranquille des années 70 si on ne sait quels obstacles ne s’étaient opposés à leur mariage.

Lise s’est depuis lors mariée avec Gérard Dutilleux (Jacques Denis), propriétaire d’un magasin d’électroménager. Mariage évidemment de raison ou de convenance sans passion sans amour, mais aussi sans regrets. La société de l’époque : le calme train-train des petites bourgeoisies de province. Mais Martinaud/Depardieu n’admet pas cette situation : il inonde Lise de lettres et d’appels téléphoniques, lui demande, la prie, la somme, de quitter son mari et de le rejoindre pour qu’enfin ils puissent vivre leur supposée histoire d’amour immortelle. Lise est aussi équilibrée qu’elle est faible : elle ne dit pas qu’il n’y aurait pas pu avoir une belle vie ; mais elle n’imagine pas revenir en arrière.

L’habileté du film de Claude Miller est d’entrer lentement, très lentement dans la folie de David Martinaud, d’en dessiner peu à peu les contours de plus en plus visibles dans l’aliénation, dans l’obsession, dans la délectation morose. Il ne sombre pas peu à peu dans la folie : il est fou d’emblée et simplement sa folie va progressivement s’incruster sur l’écran.

Survient à ce moment là la piquante Juliette (Miou-Miou) dont on ne saura jamais (autre faiblesse du film) qui elle est, d’où elle vient, comment elle peut se procurer tant d’enseignements sur la vie de Martinaud ; toujours est-il que la jeune femme s’attache à son voisin de palier, sous le regard complice, bienveillant et extraordinairement décalé de M. Choin (Claude Piéplufulgurant, comme toujours) concierge gastronome et sentencieux de la maison où vivent les protagonistes dans la petite ville sale, décrépite, pluvieuse et fictive de Boissy (Isère).

Tout cela va aller vers le pire : les péripéties se succèdent, la violence ne fait que monter et les catastrophes d’intervenir. Mais, comme on l’a dit il aurait fallu arrêter le film à partir du moment où Martinaud a tout saccagé, assassiné Juliette et incendié le nid d’amour qu’il avait aménagé pour Lise. Après la révélation ambiguë de l’impuissance d’un homme qui a tant idéalisé l’image de son amour d’enfance qu’il est incapable d’avoir une vie normale.

Râblé, bien composé, rythmé, souverainement interprété, Dites lui que je l’aime ne méritait certainement pas de ne pas trouver son public.

 

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