Donne moi tes yeux

Mais qu’est-ce qui vous prend, Sacha ?
Tous les films de Sacha Guitry n’ont évidemment pas la même importance et la même qualité. Et ceci même si dans tous ceux que j’ai vus (c’est-à-dire la plupart), il y a toujours, ici ou là, un mot, une situation, une attitude qui ravissent. Mais enfin, comme presque tout le monde, il peut alterner des merveilles (Le roman d’un tricheurFaisons un rêveLes perles de la couronneLa poison) avec des insignifiances (Le mot de CambronneQuadrilleDésirée Clary), sans même évoquer les délicieuses grandes machines historiques (Remontons les Champs-ÉlyséesLe diable boiteuxSi Versailles m’était conté).

Pendant la guerre, il s’ennuie un peu ; et puis il a épousé, le 4 juillet 1939 (bonne pioche ! deux mois avant la déclaration de guerre), sa quatrième femme, Geneviève de Séréville )la seule légitime, parce que, pour une fois, il est passé par l’Église) et qu’il faut bien lui donner un emploi à occuper. Comme la jeune femme (29 ans de moins que son mari) n’a pas le dixième du talent qu’avaient le numéro 2 (Yvonne Printemps) et (surtout) le numéro 3 (Jacqueline Delubac), le Maître va lui donner un rôle à sa mesure.Le souci, c’est que, précisément, il n’y a pas de mesure : Guitry part dans le n’importe quoi et imagine une histoire aussi niaise qu’attristante.

Voilà de quoi il s’agit, qui n’est pas bien malin. Un sculpteur d’une grande notoriété, François Bressoles, (Guitry, bien sûr) rencontre fortuitement, lors d’un vernissage au Palais de Tokyo la jeune charmante Catherine Collet (Geneviève Guitry). Ce vernissage est l’occasion de présenter à l’écran les artistes célèbres de l’époque : Derain, Dunoyer de Segonzac, Touchagues, Charles Despiau, Maurice de Vlaminck, Raoul Dufy et quelques autres : c’est aussi une façon d’indiquer par là que Bressoles fait partie de la crème de l’art contemporain.

La jeune Catherine, immédiatement repérée par l’œil de lynx du sculpteur célèbre n’est pas du tout insensible à ses ouvertures et se laisse facilement convaincre de poser pour lui, puis, les choses allant à grande allure, d’accepter sa demande en mariage. D’autant qu’elle est plutôt encouragée pour ça par sa grand-mère, Marguerite Moreno (dont le fort tempérament était d’ailleurs célèbre).

Tout irait pour le mieux, malgré l’étonnante différence d’âge si le sculpteur n’était pas frappé par les atteintes d’une cécité qui va se précipiter. Galant homme, il fait tout pour séparer de lui Catherine, en feignant de flirter avec Gilda (Mona Goya), chanteuse de cabaret qu’il fait mine de courtiser.

On a compris la suite : alors que le grand artiste se résout à accepter son infirmité (grâce notamment aux belles paroles de Mlle Thomassin (Marguerite Pierry), rééducatrice pour aveugles, («Ce qui tue, c’est l’espoir : quand il n’y a plus de doute, on va devoir faire face») la jeune fille se jette au cou du malheureux Bressoles.

Avec qui elle vivra – mais le saura-t-on ? – une vie d’amour et de dévouement. Ou de frustration et d’amertume.

Et moi qui aime Guitry comme personne, je suis bien déçu de le voir plonger dans la niaiserie la plus complète.

 

 

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