Cherche scorpion hydrophile.
Ah là là, Orson Welles, quelle énigme et quelle angoisse pour l’amateur de cinéma ! ! Il y a une sorte de consensus à tenir Citizen Kane pour le plus grand film de l’histoire du cinéma mondial et donc son réalisateur pour quelqu’un dont le génie ne se discute pas. Dès lors on est bien ennuyé lorsqu’on ne parvient pas à monter soi-même dans l’élan dithyrambique et à marquer, avec révérence, toutefois, qu’on n’est pas absolument séduit par cette œuvre disparate.
Remarquez bien qu’on est tout à fait conscient que ce n’est pas un cinéma d’imposture, que les films de Welles ne sont pas de la roupie de sansonnet et qu’on est bien en peine de placer le gros monsieur à une place équitable dans son propre Panthéon. On a apprécié, à due concurrence Citizen Kane et La splendeur des Amberson, mais sans doute davantage les deux adaptations de Shakespeare, surtout Macbeth, absolument magnifique, mais aussi Othello ; pour autant, on ne parvient pas tout à fait à s’enthousiasmer.
En écrivant ceci, je songe à un autre grand auteur, révéré par la Critique, tenu par certains comme un écrivain absolument indépassable et qui a relégué ce qui se faisait auparavant et ce qui se ferait ensuite à un rang assez négligeable et que je ne parviens pas plus que Welles à bien placer : Gustave Flaubert ; cinquante-cinq ans que je le lis et le relis et que je ne parviens pas à vraiment m’y intéresser, bien que je reconnaisse en Madame Bovary de stupéfiantes qualités et en Bouvard et Pécuchet une recension assez complète des médiocrités humaines. C’est très bien fait, ça suscite ici et là des bravos, mais, pour moi en tout cas, ça n’accroche pas.
Je n’ai encore vu ni La dame de Shanghai, ni La soif du mal, ni Le procès ; c’est dire si j’ai de la marge admirative et je tenterai sûrement de persévérer même si je suis assez sceptique, comme tous ceux qui ont essayé dix fois d’ingurgiter un plat que tout le monde décrit comme délicieux, mais qu’ils ne parviennent pas à digérer. Toujours est-il que j’ai vu, cette après-midi Dossier secret que je me rappelais surtout avoir regardé sur un de ses autres titres : Mr. Arkadin. Et je ne me rappelais guère que la délicieuse fable du scorpion et de la grenouille et de son aphorisme suicidaire conclusif C’est mon caractère !.
Je ne me souvenais guère du reste et surtout pas du fouillis narratif, justifié à grand mal, dans un des suppléments du DVD par un des grands spécialistes du cinéaste, Jean-Pierre Berthomé. Celui-ci explique comme il peut, faisant appel aux circonstances de la vie de l’auteur et aux péripéties du tournage, cette impression de capharnaüm permanent qui s’applique à un récit qui pourrait être vraisemblablement glaçant, surprenant et haletant et qui, malheureusement se disperse de façon fuligineuse. Après tout qu’un potentat richissime, Grégory Arkadin (Orson Welles himself) qui se prétend amnésique, charge une sorte de petite vermine, Guy van Stratten (Robert Arden), qui lorgne sur sa fille Raina (Paola Mori) d’enquêter sur son passé est une séduisante idée de départ.
D’autant que ceux que Guy va croiser dans cette quête ne sont pas du tout insignifiants. Bien au contraire ce sont ces trognes-là qu’on remarque et dont on peut se souvenir, dans Dossier secret, comme celle du dresseur de puces (Mischa Auer), de la trouble baronne (Suzanne Flon), de l’aventurier Thaddeus (Peter van Eyck), de la rugueuse comtesse Sophie (Katina Paxinou), de l’excentrique antiquaire juif d’Amsterdam (Michael Redgrave), surtout peut-être de Jacob Zouk (Akim Tamiroff) qui agonise dans une chambre glaciale et sordide de Munich…
À côté de ces visages souvent inspirés de Goya, les autres protagonistes, pourtant principaux, manquent d’étoffe et de surface ; Guy et Raina parce qu’ils n’en ont réellement aucune, Grégory Arkadin parce que sa stature jupitérienne, son omnipotence, sa barbe éclatante ne lui donnent pas la moindre réalité.
On peut, on doit, évidemment, admirer la qualité du filmage, tout en reconnaissant les tics habituels d’Orson Welles : continue profondeur de champ, emploi des cadrages les plus sophistiqués et des angles les plus périlleux qui se puissent. Bravo, bravo, c’est très bien ! Mais j’e me répète : ce n’est pas parce que, passant une phrase de Flaubert au gueuloir, vous la trouvez parfaite qu’elle vous entraîne sur les ailes de l’émotion…