Je l’aurai, un jour, je l’aurai !
S’il ne s’agissait que d’apprécier la beauté, le raffinement des images et des lumières, le soin apporté au choix des décors, des costumes et des objets de la vie quotidienne et des servitudes militaires, si l’on pouvait ne rester que dans un magnifique livre d’art, certainement Duellistes mériterait la note la plus haute. Je n’ai pas souvenir d’avoir aussi été émerveillé, pour la composition toujours maîtrisée de la surface entière de l’écran, depuis Barry Lyndon ; et, de fait, un arrêt sur l’image, à quelque moment du film qu’il intervienne, donne toujours l’impression que le réalisateur a attaché à chaque instant un soin maniaque à l’esthétique de son travail.
Mais cette suite de tableaux superbes est au service d’un scénario aussi mince qu’une feuille de papier à cigarette, qu’il aurait peut-être été plus propice de tourner en moyen métrage, si les considérations commerciales l’avaient permis. Les deux soldats de la Grande armée, Gabriel Féraud (Harvey Keitel) et Armand d’Hubert (Keith Carradine) n’ont aucune épaisseur, aucune substance, aucune réalité, demeurent purement iconiques, simples machines à porter bellement les uniformes chamarrés de l’Empire et à se ficher des peignées mémorables avec tout l’arsenal des hussards.
J’exagère un peu ; dans sa seconde moitié, le film dote le charmant d’Hubert d’une Laura (Diana Quick), maîtresse qui a roulé dans tous les fourgons des armées puis, plus sagement, d’une calme épouse, Adèle (Cristina Raines) et lui façonne un bout de personnalité, attachante au demeurant. Mais on ne saura rien, ou presque, de son ennemi Féraud. Voilà qui ôte beaucoup d’intérêt à une œuvre qui aurait pu être bien davantage bâtie sur l’aversion instinctive, immédiate, irraisonnée (et d’autant plus forte qu’elle est ainsi constituée) des deux hussards, même si c’est d’évidence, Féraud qui cherche le plus constamment des noises à d’Hubert, qui en est bien embêté.
Duellistes est un film trop beau pour être vrai, trop travaillé, trop léché, trop sophistiqué, trop enchanté de soleils levants sur la rosée et trop transi de brumes glaciales, trop pictural, trop décoratif pour demeurer autrement que comme un superbe exercice de style un peu vain.