Gardez vos poules, je lâche mon coq !
Dans le souvenir que j’avais gardé de la brève, très brève série des Flint, le second épisode, F comme Flint, était le meilleur. Et après tout, pourquoi pas ? Pour les Bond, la préférence de beaucoup d’amateurs (dont je suis) va plutôt au n°3 (Goldfinger) ou au n°2 (Bons baisers de Russie) qu’au n°1 (Dr. No). Et il est vrai que, dans ce genre où le héros revient de film en film, la familiarité avec lui et avec les codes qui le portent peut mettre davantage de souplesse dans le propos, comme un vêtement qu’on porte s’assouplit à l’usage et devient plus seyant. Mais au bout d’un certain temps, à la souplesse succède l’usure. C’est ce qui est arrivé à Bond, dès le n°5, On ne vit que deux fois, et ce qui se poursuit aujourd’hui vers l’avachissement total, malgré ici et là quelques sursauts.
Mais pour Flint, tout s’est dégradé dès le second opus, ce qui est tout de même bien rapide ; c’est, sans doute, que la fabuleuse inventivité parodique qui faisait de Notre homme Flint un petit bijou élégant et extrêmement drôle ne pouvait pas vraiment poursuivre dans la durée parce que tous les extravagants talents de Derek Flint avaient été énumérés d’emblée. J’en rappelle quelques uns repris de mon avis sur le premier film : Flint peut, à la simple mention de traces de safran, de fenouil et d’ail mêlées au curare d’une flèche empoisonnée, discerner le quartier de Marseille où un type particulier de bouillabaisse est servi ; il peut également d’un souffle de sarbacane, clouer une mouche à un mur en moins d’une seconde, arrêter son cœur quelques heures afin de se relaxer, et pratiquer en quelques instants une opération d’urgence. Même si, dans F comme Flint, on le voit s’éjecter d’une fusée et rejoindre, en préfiguration de Gravity, une station spatiale, les scénaristes ont un peu ahané pour trouver de nouvelles performances extraordinaires et originales.
Cela étant, F comme Flint n’est pas du tout dépourvu de qualité. Il y a, bien sûr, l’allure et le charme de James Coburn, celui de la multitude de jeunes oiselles qui l’entourent et, pour les nostalgiques, le bric-à-brac délicieux des années psychédéliques, de leur modernité criarde et de leur absolu mauvais goût. Mais il y a aussi davantage.
Dans Notre homme Flint, l’intrigue tournait autour de trois savants fous qui voulaient régenter la planète ; F comme Flint va beaucoup plus loin et retentit d’un délicieux machisme qui aujourd’hui donnerait sûrement lieu à des manifestations haineuses et dépoitraillées : un groupe de femmes d’affaires a décidé d’éveiller la conscience féminine : depuis plusieurs années, insidieusement, toutes les femmes qui passent sous un casque de séchage dans un salon de coiffure reçoivent une propagande ad hoc diffusée par un magnétophone miniature. De plus les trois intrigantes ont conçu un plan diabolique, le projet Damoclès qui consiste à s’emparer de bombes atomiques placées en orbite et d’établir le gouvernement du deuxième sexe par la menace. Après tout, pourquoi pas ? et comme le dit l’une d’elles Vous verrez comme tout ira mieux !, ce à quoi Flint répond sarcastiquement Aurez-vous encore des jupons quand vous porterez la culotte ?
Mais tout à leur idéal féministo-pacifiste, les trois dames ne se sont pas aperçues qu’elles se faisaient rouler par le colonel Carter (Steve Ihnat) qui, faisant mine de les suivre, battait les cartes pour son propre compte. Flint s’en débarrassera et la paix du monde sera sauvée, le Président des États-Unis (Andrew Duggan) concluant l’aventure par Eh bien, Mesdames, on l’a échappé belle, que cela vous serve de leçon en renvoyant les trois idéalistes à leurs fanfreluches. (Pour être conforme à la vérité, il faut ajouter que celles-ci, faisant semblant de venir à résipiscence, paraissent mijoter de nouvelles perfidies).
Donc machisme assumé, encore accentué par le style de vie de Flint, qui possède à demeure un harem régulièrement renouvelé ; dans le film, ses amoureuses dociles ne sont que trois, et Cramden (Lee J. Cobb), le patron des services spéciaux qui lui rend visite le lui fait remarquer ; et Flint : Elles étaient quatre et même cinq, mais c’était un peu trop : j’essaye de me restreindre.
J’ai gardé le meilleur pour la fin : lors de cette même visite, Cramden qui a constaté que Flint disposait d’une piscine où il entretenait un dauphin dont il apprenait le langage, lui lance Ça vous fait un mammifère de plus à la maison. Voilà une merveilleuse vacherie qui à elle seule exige de la sympathie pour ce film trop oublié