Décalque sans qualités.
Je dois avoir un problème avec le cinéma de Billy Wilder, porté aux nues par la critique et le public mais dont le ton ne me satisfait pas complètement, en tout cas ne parvient pas à m’emballer, ce qui est regrettable pour un cinéaste de telle notoriété.
Il est vrai que je n’en suis que modeste connaisseur, n’ayant vu de lui avant Fedora, découvert hier soir sur Arte, qu’Assurance sur la mort, Certains l’aiment chaud, Irma la douce, La vie privée de Sherlock Holmes et Avanti, films qui m’ont donné l’impression que c’est un aimable faiseur, souvent désinvolte, toujours égrillard, en tout cas constamment superficiel et en aucun cas un réalisateur majeur…
Et Boulevard du crépuscule, allez-vous vous récrier ? Et vous aurez raison : Boulevard du crépuscule est un film noir admirable, poignant, bouleversant, étincelant : je n’ai que plus de regret d’avoir vu en Fedora une contrefaçon de ce chef-d’œuvre, une sorte d’auto-parodie qu’un Wilder vieillissant a balancé en croyant (ou ne croyant pas ?) pouvoir retrouver l’inspiration, trente ans après le premier film. Il ne manque même pas la survenue en guest-star de Henry Fonda, comme jadis celles de Cecil B. DeMille ou de Buster Keaton.
J’ai songé aussi à une autre caricature, celle que fait subir un genre tout entier à la vraisemblance, en la grossissant, en la pastichant : j’ai songé au délicieux giallo italien, de Mario Bava, de Dario Argento, à ces films morbides où une lourde réalité est dissimulée par des silences, des crimes, des complicités, tout cela dans de grandes demeures emplies d’ombres où des serviteurs à visages étranges séquestrent d’innocentes héroïnes ou les font passer pour folles. Dans les meilleurs gialli comme dans Fedora, il y a des scènes cruelles, des perspectives baroques, des séquences funéraires, du grandiloquent inutile et faux (là des gardes républicains entourant le cercueil de la prétendue Fedora), des prises de conscience effarées, des coups de théâtre, des révélations, des vieilles femmes paralytiques et défigurées…
De ce point de vue, la découverte par Dutch/Holden, lors de son exploration de la villa, des dizaines de paires de gants blancs et du cahier où, sur des pages et des pages est inscrit I am Fedora est assez typique du genre. Ne manque pas non plus la touche grotesque (ainsi en voyant William Holden muni de jumelles espionner l’île mystérieuse, j’ai fait le rapprochement avec un Paul Préboist qui mâterait de la même façon dans Mon curé chez les nudistes ce qui, on en conviendra aisément, n’est pas tellement valorisant.
Un mot aimable, toutefois pour la qualité du jeu de William Holden qui survole complètement tout le reste de la distribution. Hildegard Knef et José Ferrer brillent d’insignifiance, alors que les rôles vénéneux qu’ils sont censés interpréter aurait dû leur donner de l’allant et de la structure. Et dût mon goût pour la charmante Marthe Keller, trop tôt disparue des premiers plans du cinéma, elle n’est pas du tout convaincante dans son double rôle ; on peut à tout le moins conserver son image dénudée dans son bain qui fait songer à Edwige Feuillère dans Lucrèce Borgia d’Abel Gance…
Tout ce qui fonctionnait admirablement dans Boulevard du crépuscule apparaît dans Fedora assez faux et même idiot. C’est toute la distance qui sépare le drame du mélodrame, celui-ci assez fortement mâtiné de Grand Guignol.