French-cancan

bigi4d9f96ecd03e7Enchanté et lumineux

Célébration d’un film enchanté, lumineux, touché par la grâce qui réussit le prodige d’évoquer Renoir (Auguste) dans une histoire où l’on pouvait penser qu’on trouverait Lautrec (Toulouse) !

Il y a une bien belle réflexion sur les métiers du spectacle, la vocation de Danglars – (Jean Gabin), l’homme qui aime toutes les femmes parce qu’il n’en aime aucune – et qu’il en est parfaitement conscient – , il y a une reconstitution à la fois délicieusement artificielle et certainement profondément exacte dans son essence du Montmartre de 1900, il y a aussi – prenons garde de l’oublier ! – la merveilleuse musique de Georges van Parys et surtout l’immortelle Complainte de la butte (dont les paroles sont de Renoir lui-même), si bien chantée par Cora Vaucaire.

J’ai longtemps espéré qu’un éditeur consciencieux nous sortirait un petit bijou avec plein de suppléments…et j’ai dû me rabattre sur la basique édition de René Château qui n’est pas même chapitrée.

Ah, misère !

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vlcsnap-245479.1225221799.thumbnailComme c’est extraordinaire que le cinéma ait si mal et si peu exploité le physique et le talent – également immenses ! – de Philippe Clay, qui vient de mourir ! Jean Renoir lui a confié, dans son beau French cancan ce rôle de Casimir-le-Serpentin – c’est-à-dire la figure – l’image – de Valentin le Désossé… Et il a été parfait…

Puis plus grand chose… Quel dommage ! Philippe Clay avait une physionomie, une voix, une souplesse qui lui auraient permis d’autres rôles, de grands rôles.

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Il n’y a naturellement aucun rapport visuel entre la belle restauration  qui vient d’être éditée par Gaumont et la piteuse version donnée naguère par ce sagouin de René Château, qui avait livré une image minimale et abimée. Surtout c’est là une édition qui prend au sérieux le film de Jean Renoir, qui lui donne des suppléments de poids, un chapitrage, des versions audio à la mesure de ce qu’il est : le meilleur film de la période finale du réalisateur.

Drôle de film, French cancan, film lumineux, enchanté, d’une énergie vitale et d’une gaieté qui emportent tout ; c’est précisément cette gaieté qui est singulière, qui met le monde du spectacle dans une optique assez particulière. Le bonheur n’est pas gai conclut le Narrateur à la fin du Plaisir de Max Ophuls ; la gaieté de French cancan est un délicieux moment d’artifice (et d’artifices) qui unit des tas de gens qui n’attachent, finalement, pas beaucoup d’importance aux sentiments, à la stabilité, à la paix de la vie. Monde de la fête, de la nuit, du champagne, des amours interchangeables, de l’excitation perpétuelle et de la perpétuelle illusion.

french-cancanLe feu qui brûle Danglard (Jean Gabin, souverain !), c’est l’insatiété continue d’un homme qui ne vit que pour les frémissements, les orgasmes de la scène et des applaudissements d’un public qui oublie tout dans le charivari, dans le tourbillon, dans la griserie de l’illusion ; illusion magnifique et aveuglement de tous, des danseuses qui illuminent le Moulin rouge lors de son inauguration, mais qui finiront, toutes ou presque, comme la pauvre Prunelle, clocharde qui a eu, elle aussi, son heure de gloire et pour qui le succès a passé.

French cancan est un film magnifique et poignant, d’une beauté formelle exquise, d’un rythme exceptionnel ; personne ne peut résister au carrousel des vingt minutes finales où, de toutes parts et sous tous les angles, les danseuses brûlent le parquet du Moulin rouge, où le public est saisi d’une sorte de folie collective, où les hauts-de-forme s’envolent et où la frénésie saisit chacun. Frénésie, je ne vois pas de mot plus approprié; la grande illusion du spectacle, les décors, les costumes de scène, la volonté de s’amuser coûte que coûte, l’ivresse et la fantaisie, tout y est.

Pléthore d’acteurs, tous mieux dirigés les uns que les autres, y compris des silhouettes qu’on voit toujours dans les films de Renoir, Valentine Tessier, Gaston Modot ou Max Dalban ; silhouettes toujours croquées d’un trait agile, comme le fait remarquer un des suppléments de qualité de l’édition (peu de physionomies dont on ne se souvient, fussent-elles fugaces) ; enchantement de couleurs, dont l’artificialité va, d’ailleurs, tout à fait dans le sens de ce que souhaite Renoir : montrer la distance, le décalage entre la vie et la scène…

French cancan est un film important, une sorte de testament hédoniste et sarcastique ; joyeux amoralisme des comportements, rythme infernal des vies mangées par la nuit et la fête, indifférence au lendemain… Magnifique et brûlant.

 

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