Je suis loin de connaître bien l’abondante filmographie de Clint Eastwood, réalisateur que j’ai découvert assez tardivement, il est vrai. En tout cas, à chaque fois je suis partagé entre le facile agrément ressenti grâce à des histoires plutôt originales et bien construites et une certaine insatisfaction. Insatisfaction entraînée par un manque d’épaisseur des films qui fait, pour moi en tout cas, qu’on ne conserve pas grand chose en tête de ces réalisations. Peu d’images fortes, peu de dialogues éclatants, peu de personnalités vraiment marquantes. En gros, de la belle ouvrage, filmée souplement, de bons acteurs, du rythme, un plaisir immédiat qui fait qu’on ne s’ennuie pas et qu’on oublie vite.
Qu’est-ce qui n’est pas prévisible, dans Gran Torino, à part le retournement final, lui-même un peu trop pathétique et ostentatoire pour être satisfaisant ? À part cette pirouette terminale, est-ce qu’on ne comprend pas d’emblée que, quoi qu’il fasse, malgré qu’il en ait et en dépit de ses jappements divers, le vieux Polak Walt Kowalski (Clint Eastwood lui-même), vétéran de Corée, grognon, bougon, ronchon, misanthrope, un peu raciste, ennemi du jeunisme et de la nouveauté sous toutes ses formes, ne va pas être amadoué par ses nouveaux voisins hmongs ? C’est tout de même assez cousu de fil blanc, cette mauvaise humeur agressive, ce personnage d’ancien col bleu des usines Ford, qui vient de perdre la femme de sa vie et pour qui ne comptent plus que sa chienne Labrador et son drapeau étasunien, sa pelouse râpée et sa glacière pleine de bières. Passé la première demi-heure du film, on sait bien tout ce qui va se passer par la suite, l’affection presque paternelle qui naît entre Walt et Thao (Bee Vang), le petit jeu de presque séduction entre le vieil homme et la jeune Sue (Ahney Her), la sœur aînée de Thao, les bisbilles avec le gang hmong et ce qui en découle, le viol de Sue et la rage de Thao… jusque, donc, la trop matoise fin.
Mais donc est-ce que tout cela n’est pas extrêmement prévisible, absolument évident, cette moquerie d’Eastwood sur sa propre personnalité de grande gueule républicaine, adepte de la Loi et de l’Ordre, féru d’armes à déchiqueter un éléphant à un kilomètre, nostalgique de l’Amérique blanche ouvrière et conservatrice des petits blancs ritals, polaks, irlandais ? Amérique du Middle-West, des usines d’automobiles, de la tarte aux pommes et de la dinde de Thanksgiving ; finalement le monde de la mythique Gran Torino, morte avec la déconfiture industrielle de Detroit et à qui Walt survit, pestant contre les Toyota qui envahissent son espace…
Si l’on prend le film comme la chronique d’une disparition, ou d’un effacement, plutôt, celui de l’image traditionnelle des États-Unis, certes depuis toujours composite mais qui ont désormais éclaté entre une multitude de minorités qui, ensemble, sont devenues électoralement majoritaires (féministes, noirs et chicanos, homosexuels par exemple), ont fait le succès d’Obama et vraisemblablement, demain, celui d’Hilary Clinton, on peut y trouver un grand intérêt sous-jacent…