Noir, c’est noir !
Haïti, la fin des chimères ? est un moyen métrage, complément naturel de Royal bonbon, film lui aussi consacré à cet effarant État qui ne cesse de s’enfoncer chaque année un peu plus dans le désastre alors que l’île de Saint Domingue était, jusqu’à l’indépendance et le massacre des Blancs, la perle des Antilles et le trésor de la couronne de France. Le traité de Paris du 10 février 1763, qui scelle la fin de la Guerre de 7 ans et nous paraît désastreux fut pourtant célébré dans notre capitale par des feux d’artifice. Nous perdions le Canada (les quelques arpents de neige de Voltaire) et les Indes, mais nous affermissions sur les îles des Antilles productrices de sucre (Martinique, Guadeloupe et surtout, surtout Saint Domingue, c’est-à-dire Haïti. On a toujours tort de juger les affaires du passé avec les yeux d’aujourd’hui.
Première révolte des esclaves en 1791 et proclamation de l’indépendance en 1804. La République française a tenté de mener là une guerre d’extermination, comme elle l’a fait en Vendée, mais ses tentatives génocidaires ne réussissent pas et nos troupes sont finalement battues à la bataille de Vertières.
Depuis lors, ça ne s’est pas arrangé. Ce malheureux pays (dont s’est séparé la République dominicaine qui connaît une relative prospérité grâce au tourisme) semble avoir accumulé les handicaps et, dans sa courte histoire n’a rencontré que des drames. Ce ne sont que folies diverses, paranoïas, pronunciamientos, corruptions, prévarications, occupations (par les États-Unis, de 1915 à 1934), succession de dictatures militaires mulâtres et de populismes sanglants noirs, aberrations duvallieristes (Papa Doc et Baby Doc de 1957 à 1986). Rien de plus désespérant.
Le film documentaire de Charles Najman a été réalisé en 2004, au moment où Jean-Bertrand Aristide, prêtre salésien défroqué est contraint de quitter le pouvoir. Sous la pression américaine ou à la suite de la déception causée par ses insuffisances et sa soumission aux diktats internationaux ? La question n’est pas résolue par le film, qui interroge bon nombre d’acteurs de la vie politique et intellectuelle haïtienne. On a vraiment l’impression que personne ne sait ce qu’il faudrait faire ou même n’en a la moindre idée. Tout le monde est déçu, accablé, révulsé par l’incapacité des Pouvoirs publics de changer quoi que ce soit à la réalité. Et la réalité, c’est l’omniprésence de la misère, des bidonvilles, des maladies endémiques, de la violence, des impostures.
Les classes dirigeantes – qui s’expriment en un français impeccable et châtié – tiennent un discours surréaliste, au demeurant absolument similaire à celui de toutes les classes dirigeantes du monde. Ceux qui s’instituent représentants des classes populaires (et qui sont, en fait, les parrains des gangs de quartiers) s’expriment en créole sous-titré pour s’indigner de la situation. Quelle blague ! On sait bien qu’il n’y a absolument rien à espérer et que Haïti s’enfonce doucement dans le sous-développement, naufrage sans aucune possibilité de s’en sortir vers la disparition du monde civilisé.
Najman, militant trotskiste, a l’honnêteté de ne pas embellir les choses et de faire mine de déclarer qu’il suffirait de quoi que ce soit pour que les choses changent. L’histoire d’Haïti est un perpétuel recommencement ; et lorsqu’un des chefs des Chimères (les hommes de main du président Aristide) déclare que la seule solution est une deuxième occupation américaine, on en reste un peu coi.
Rien ne s’arrange. Le film date de 2004. Le 12 janvier 2010, un séisme inouï ravage Haïti. Qu’est-ce que vous voulez qu’on y fasse ? Vous qui vivez ici, quittez toute espérance pourrait-on dire en parodiant Dante Alighieri.