Stupéfiant : il y a des gens qui aiment ça !
Comme je n’avais pas été trop mécontent de visionner Femmes entre elles, il y a deux ans, comme le souvenir des redoutables purges que je m’étais infligées il y a cinquante ans en emmenant des donzelles voir La nuit, L’éclipse ou Le désert rouge (ça se faisait, à l’époque, si l’on voulait passer pour un peu intelligent auprès de chétives pécores qui se la jouaient grave) s’était un peu estompé, comme j’espérais que ce serait moins lambin que le terrifiant d’ennui Blow-up où j’ai découvert le gracieux sourire et les minuscules seins de Mlle Jane Birkin, j’ai capté l’autre soir Identification d’une femme au Cinéma de minuit. (J’oublie d’écrire que n’ayant compris que peu de choses à certains avis dithyrambiques, je souhaitais me faire une opinion personnelle).
Je n’ai pas été déçu du voyage : Antonioni, en 1982, pour son presque dernier film est resté l’enquiquineur officiel du cinéma mondial qu’il était devenu avec L’avventura,en 1960, recevant année après année, Lion, Ours ou Palme d’Or à Venise, Berlin et Cannes. Ça ne dure qu’à peine plus de deux heures, mais j’ai l’impression que ça m’a pris l’après-midi tant c’est lourd, long, lent et fuligineux.
Mon 1, que je pourrais hausser jusqu’à 1 1/2 si la chose était ici techniquement possible ne tient qu’à la beauté de Rome, à quelques images de Venise et au charme de Christine Boisson, belle actrice qu’on n’a jamais beaucoup vue, sinon dans des bêtises.
Mais pour le reste ! Même genre de mystères irrésolus que dans Blow-up additionné à une vacuité insupportable des personnages qu’on ne parvient pas à définir et, surtout, à qui on ne peut s’attacher une seconde tant leurs comportements apparaissent absurdes et creux. Mais, me dira-t-on avec quelque apparence de logique, deux femmes singulières, une deuxième partie qui ne paraît avoir que des rapports surprenants avec la première, ça ne vous fait pas penser à Mulholland drive, dont vous êtes féru ? Que nenni ! Outre que, pour qui le regarde avec assez d’attention (allez, soyons franc : pour qui le voit deux fois), l’évidence de l’interversion des parties et de la rêverie douloureuse de Betty (Naomi Watts) explique le propos de David Lynch, la survenue d’épisodes autonomes glaçants ou drôles, la beauté des images et de la musique, l’étrangeté extrême différencient complètement les inspirations.
Il me semble qu’Antonioni est un cinéaste de la banalité souhaitée, voulue, revendiquée ; et ce n’est pas parce que ses films se déroulent dans un milieu fortuné qu’il en est autrement : tous les cinéastes habitués aux réceptions où le Bollinger coule comme l’eau n’ont cessé de jeter de gros yeux sur la vacuité des créatures qu’ils présentent aux spectateurs vertueux : Fellini dans La dolce vita, Resnais dans L’année dernière à Marienbad ou (déjà) Antonioni dans La nuit. Les protagonistes ne savent pas parler, ne savent pas aimer, ne savent pas rire.
Bavard, verbeux, ceci jusqu’à l’insupportable, tourné dans des tonalités bleues très froides, Identification d’une femme dégage un ennui profond qui est, d’ailleurs peut-être toute l’ambition du réalisateur. Il suffisait, au début des années 60 de voir le visage des spectateurs qui sortaient des salles où l’on projetait ses films pour en être édifié.