Lettres de barbarie.
Il est constant et bien connu que pour lutter contre la lassitude qui naît de la monotonie et de la routine, il faut ajouter ici et là, pour réveiller l’intérêt, des pincées de poivre ; et des pincées qui doivent être de plus en plus fortes et nombreuses et du poivre qui doit être de plus en plus épicé. Parvenus au quatrième et pénultième volume cinématographique des aventures d’Angélique marquise des anges (mais je note que la série littéraire en compte treize !), parvenus au moment où l’héroïne qui brûle de retrouver son mari quitte Paris et se jette à la poursuite de Geoffrey de Peyrac (Robert Hossein), il faut introduire des piments intenses et un sadisme propre à réveiller les sens du spectateur au cas où il aurait le mauvais esprit de s’assoupir.
Indomptable Angélique ne mégote donc pas sur la violence et la cruauté et se révèle beaucoup plus intéressant que je ne me le rappelais. D’abord le film a pour avantage de rappeler aux esprits oublieux combien la Méditerranée fut un espace dangereux jusqu’à ce que le roi de France Charles X, exaspéré par l’insécurité, aille détruire les nids de pirates en débarquant à Sidi-Ferruch et en conquérant Alger le 5 juillet 1830. Mais, en attendant, les Barbaresques sillonnent la mer et s’emparent de butins et de nombreux malheureux qui deviennent esclaves dans l’Empire ottoman et ses périphéries. Les galères du Roi, chargées de forçats condamnés de droit commun essayent de mettre un peu d’ordre dans cette anarchie mais ont bien du mal à le faire. Ah, certes j’admets volontiers que le sort des forçats est rude et que ces travaux forcés ne sont pas enviables, choquant notre humanisme toujours sensible ; et cela même si la condamnation à la chiourme, qui est temporaire, vaut mieux, pour beaucoup, que la mort par quoi elle est commuée.
Toujours est-il qu’Angélique, recherchant toujours Peyrac, est rapidement embarquée sur la galère royale, commandée par le duc de Vivonne (Christian Rode) qui, comme tout le monde succombe au charme de la Marquise et ne manque pas, également comme tout le monde, d’essayer de la forcer. Ça ne lui réussit pas puisque le bateau est conduit dans un traquenard qui le détruit par le mystérieux Rescator, corsaire de haute-mer indomptable… qui n’est autre (ô quelle extrême surprise !) que notre vieille connaissance Geoffrey de Peyrac. Celui-ci, jadis sujet fidèle et respectueux du Roi, s’est aigri et voue désormais à Louis XIV une aversion obstinée. Il se veut, désormais, en préfigurateur de la Révolution (qui a encore un bon siècle à survenir), ce qui ne l’empêche pas, au demeurant de disposer d’un charmant harem (qui fait songer à celui de Notre homme Flint) et d’esclaves noirs absolument dévoués. Mais bon ! Les proscrits ont toujours été à la mode et ont toujours eu la faveur des progressistes.
Voilà que ça se corse : Angélique, après le naufrage du vaisseau amiral, est recueillie – et capturée – par un sale type, Pierre-Marie d’Escrainville (Roger Pigaut), qui, injustement condamné par la justice royale (dixit) s’est voué à la piraterie et à la haine des femmes. Il viole donc considérablement Angélique et la livre même à des prisonniers qui croupissent à fond de cale (ce qui montre que la sympathique activité des tournantes des caves de banlieue n’a rien de vraiment innovant). La marquise serait hachée menu si le second de d’Escrainville ne la tirait de là pour que la marchandise (qu’elle représente) ne soit pas abimée.
Car c’est sur le marché aux esclaves de Candie (c’est-à-dire d’Héraklion, capitale de la Crète) que doit être vendue la belle esclave. Pour forcer son obéissance, voilà que ses maîtres lui font goûter d’une délicieuse invention, prompte à mâter les volontés les plus assurées : les chats féroces affamés qui la déchiquetteraient bien si elle n’était là encore, protégée pour sa valeur marchande. La scène des enchères est particulièrement colorée et angoissante : les chevaliers de Malte qui pourraient la racheter, comme ils le font pour des milliers de malheureux n’ont pas assez de sequins pour y parvenir…
Mais – ô miracle ! – finalement c’est un prête-nom de Geoffrey qui emporte l’affaire et donne 100.000 sequins là où 20.000 étaient estimés. Les deux époux se retrouvent et s’aiment. Là, une des séquences les plus nébuleusement grotesques de la série, extrêmement mal filmée dans une sorte de brume irréelle et gnangnanesque. Mais heureusement, le vilain d’Escrainville, par un coup de main fort hardi parvient à s’emparer à nouveau de la Marquise… On verra ce qui se passera plus tard, dans le cinquième tome…
Indomptable Angélique souffre un peu d’être moins nourri en bons rôles secondaires que ne le sont les trois premiers films, mais la sauvagerie des mœurs est bien intéressante à contempler, tout de même…