Juliette ou la clef des songes

Exécrable.

J’ai acheté ce DVD, dans l’exécrable (mais désormais bradée sur les sites de discompte) collection Cinéclub et j’ai un peu pour principe d’acheter – et de regarder – toutes les œuvres d’un auteur que j’apprécie, que ce soit en Littérature ou en Cinéma.

Ce préalable posé – qui ne présage rien de bon, n’est-ce pas ? – que dire de Juliette ? eh bien, très nettement, qu’on ne continue pas sur une veine poétique sans un poète ! Ce qui avait fait la force de Quai des brumes, des Visiteurs du soir, des Enfants du Paradis, des Portes de la nuit, c’était sûrement beaucoup Carné, mais plus encore Prévert. Celui-ci parti, il reste un film étrange, un peu niais, avec de larges séquences ridicules… Je ne me souviens pas de Suzanne Cloutier mais seulement de Gérard Philipe (dans un de ses rôles les plus énervants, et Dieu sait s’il y en a eu !) d’un bizarrement jeune Yves Robert et du toujours impeccable Jean-Roger Caussimon

Cela dit, Carné abandonnant, après l’échec commercial de Juliette la veine onirique, on lui doit ensuite une remarquable Thérèse Raquin, un excellent Air de Paris ; Les Tricheurs, considérable succès de scandale, sont surfaits, Terrain vague est pénible, et Du mouron pour les petits oiseaux qui n’est pas du tout désagréable, porte un titre abominable.

La vieillesse est un naufrage, disait à bon droit le Général. Pas plus que Duvivier, Carné ne s’est arrêté à temps.

Ayant revu ce film d’une nullité accablante, je baisse ma note et me demande pourquoi je ne descends pas au niveau abyssal de 0…

Pourquoi ? Par révérence, sans doute, au talent de Marcel Carné, qui fut un grand cinéaste et qui, après ce grand ratage, sera encore un bon cinéaste, par crainte que mes amis du Québec, si je ne dis pas du bien du joli minois de leur compatriote Suzanne Cloutier ne me fassent la tête, par vergogne, aussi, d’avoir revu le film alors que je n’en avais déjà, naguère, déjà pas dit du bien.

Mais qu’est-ce que c’est que ce salmigondis indigeste, d’une bêtise et d’une mièvrerie à faire peur où, pour se moquer, on peut retrouver, dans les séquences qui se succèdent, l’influence de Marcel Pagnol – la campagne et le village à tonalités provençales, quelques physionomies typées – du pire Jacques Prévert, – le symbolisme exalté des amoureux-qui-sont-seuls-au-monde -, de Mario Bava – le château renfrogné perché en un nid d’aigle -, de Jean Cocteau – le côté Barbe-Bleue, qui fait trop songer à La Belle et la Bête, mais, hélas !, sans le talent décoratif de Christian Bérard – et même de Terence Fisher – l’apparition dudit Barbe-Bleue (Jean-Roger Caussimon), en haut d’escaliers vertigineux, en hommage précurseur, donc inconscient, au Comte Dracula du Cauchemar…? Qu’est-ce que c’est que ça ?

Une des idées de départ n’était pourtant pas idiote, de ce village dont les habitants, du fait d’une étrange malédiction, se voient privés de tous leurs souvenirs et oublient tout, au fur et à mesure que le temps passe (C’est parce que nous sommes sans mémoire que nous ne savons pas pourquoi nous l’avons perdue dit, dans la meilleure réplique du film l’accordéoniste philosophe (Yves Robert) au niais Michel Grandier (Gérard Philipe, encore plus exaspérant que d’habitude) ; mais ça tourne très rapidement à un bavardage de philosophie de comptoir et ça se noie dans des intrigues parallèles sans cohérence.

Certains des acteurs font ce qu’ils peuvent pour sauver le film du désastre et jouent leur partie: ce sont les habituels deuxièmes ou troisièmes rôles du cinéma français du premier demi-siècle, Édouard Delmont, René Genin, Gabrielle Fontan ; mais le grand personnage que fut Jean-Roger Caussimon, sorte d’Ogre cauteleux qui joue les loups-garous ne parvient pas à faire vraiment peur…

Film raté, raté absolument, comme on en voit assez peu d’aussi minable. Cinq ans après Les enfants du Paradis ! Comme quoi on n’est jamais sûr de rien…

 

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