Cruautés, outrances, excès de qualité.
Long carnage sanguinolent peut-on dire… Et, en même temps cheminement violent, jamais lourd ni pesant vers un demain qui ne sera guère meilleur qu’aujourd’hui… Peu de films font ressentir autant que celui-là la dureté de l’époque balbutiante qui s’édifie sur les décombres du Moyen-Âge et qui va, pendant plusieurs siècles encore, s’incruster au milieu de l’Europe…
Si Verhoeven titre, à la fin de son générique 1501 – Quelque part en Europe, cette Europe-là est sûrement celle des terres mal gouvernées des confins de l’Empire romain germanique, possiblement dans l’Italie du Nord (le patronyme Arnolfini, qui est celui du potentat du coin est typique). Ravagée par l’absence d’État, par la peste et les Grandes compagnies, la contrée vit dans l’entrechoc des bandes qui le ravagent, mélange de reîtres et de ribaudes qui se vendent au plus offrant et dévastent au hasard de leurs errances tout ce qui peut leur permettre de survivre.
La chair et le sang est, d’abord, un formidable film d’action, où la tension ne se relâche pas un seul instant, où les meurtres, les orgies, les viols, les mises à sac, les tortures et les horreurs se succèdent sans répit. Un film d’action qui devait répondre aux exigences des studios d’Hollywood, peu soucieux des ratiocinations européennes, jugées sans doute ennuyeuses et inefficaces. Mais Paul Verhoeven est un Européen profond qui, au delà de ses révérences envers William Wyler ou David Lean, ne peut pas filmer sans introduire au milieu de sa réalisation, quelques unes de ses questions fondamentales sur l’identité, le sens de la violence, l’ambiguïté des êtres, les relations entre le bourreau et sa victime.
Le personnage le plus extraordinaire de La chair et le sang est évidemment celui d’Agnès (Jennifer Jason Leigh), jeune fille de l’aristocratie terrienne, qui découvre le plaisir sexuel – dont elle était déjà fort curieuse – dans les bras et sous le joug du capitaine Martin (Rutger Hauer), chef d’une bande de tueurs et de filles et qui, bien qu’elle aime son fiancé Steven Arnolfini (Tom Burlinson), ne sait pas choisir entre les deux hommes qui sont et seront ceux de sa vie. La double nature d’Agnès, ses deux côtés, lumineux et sombre, irriguent le film et lui donnent une complexité particulièrement intéressante.
Je ne connais pas plus que ça Verhoeven, ce Hollandais issu d’un Pays de canaux, canards et canailles (Voltaire), mais je dois lui reconnaître au plus haut degré le talent d’installer, avec son spectateur, ce questionnement fondamental : où est la raison ? ou plutôt est-ce que l’ennemi n’a pas raison, ou ses raisons ? Impeccable logique de l’admirable Starship troopers, en qui certains ont vu un film dédié aux idéaux de courage, de sacrifice et de dévouement à la collectivité (j’en suis), d’autres une dénonciation du militarisme et du fascisme. La chair et le sang offre les mêmes questionnements et les mêmes regards ambivalents : le capitaine Martin et sa troupe d’assassins valent-ils moins que les soudards d’Arnolfini et que les troupes qui les traquent ?
En tout cas, dans les rougeoyances d’un monde qui subit de toute part les bubons de la peste, La chair et le sang est un film haletant et fantastique. À voir, évidemment, et à revoir sûrement.