Bon film, ravissante Françoise Arnoul
L’époque du tournage du film – 1957/1958 – n’était pas si éloignée que ça de la fin de la guerre (moins que la durée qui nous sépare aujourd’hui de l’an 2000 !) et les films consacrés à la Résistance n’étaient pas rares, depuis la belle Bataille du rail (1945) de René Clément, son excellent Père tranquille en 1946, Clément qui aura la main moins heureuse avec Le jour et l’heure en 1963 mais plus héroïque avec Paris brûle-t-il ? en 1966. En 1946 encore le très intéressant Jéricho d’Henri Calef. Bien sûr le vrai chef-d’œuvre, L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville en 1969.
S’intercale dans tout cela le binôme La Chatte/La chatte sort ses griffes binôme adapté assez acrobatiquement des aventures d’un personnage réel, Mathilde Carré, qui fut agent double ou triple (on ne sait plus trop), livra des dizaines de résistants à la Gestapo, fut emprisonnée en Angleterre et en France, bénéficia d’une grâce médicale et mourut tranquillement en 2007.
Comme il était difficile, dans un pays encore traumatisé par l’Occupation de montrer la réalité sous son vrai jour mais que le personnage de Mathilde Carré était extrêmement troublant, tout le pari d’Henri Decoin, s’appuyant pour cela sur un roman de Jacques Rémy, fut de faire de Cora Manessier, dite La Chatte, une héroïne qui par naïveté, par amour, par imprudence, manipulée sans s’en rendre compte par les Allemands, trahit son réseau, dont tous les membres sont fusillés. Ceci à l’exception de son chef, le capitaine Debrun (Bernard Blier) qui, à la dernière image, exécute Cora, libérée pour prix de sa trahison. Dernière séquence qui fait évidemment songer à la dernière séquence de L’armée des ombres et à la mort de Mathilde (Simone Signoret) qui, elle, n’est pas tuée par vengeance mais par précaution, pour lui éviter de parler.
Le film n’est pas mal du tout, si l’on n’est pas trop exigeant sur la vraisemblance (mais la pauvreté des financements du film a sans doute contraint Henri Decoin à faire des ellipses : sinon comment concevoir par exemple que des secrets militaires allemands soient simplement surveillés par quelques clampins et que l’on puisse se faufiler dans un bâtiment stratégique avec une aussi grande facilité et faire sauter avec un peu de plastic un coffre-fort censé contenir le plan des fusées V1 ?). Le film n’est pas mal parce qu’il est habité par la beauté féline de Françoise Arnoul, dont le ciré noir a fait rêver bien des spectateurs et qui – c’est son rôle du film, mais c’est aussi sa grâce intrinsèque, dans toutes ses interprétations – séduit dès que son regard en frôle un autre.
Voilà une actrice qui est de la même génération que Brigitte Bardot (à trois ans près), qui avait beaucoup plus de talent, n’hésitait pas à se montrer dénudée et avait déjà tourné quelques bons ou très bons films (Des gens sans importance d’ Henri Verneuil, French cancan de Jean Renoir), avait d’ailleurs un registre étendu (la charmante comédie musicale Nous irons à Paris de Jean Boyer) et dont la carrière, dont l’acmé est précisément La Chatte a commencé à patiner un peu après La Chatte sort ses griffes, filmé pour bénéficier du très grand succès du premier opus (et, malheureusement, sévère ratage). Sans doute sa beauté était-elle plus élaborée, d’une certaine façon plus vénéneuse, que celle de Bardot, plus solaire.
Toujours est-il qu’un amateur de films sur la Résistance française peut difficilement faire l’impasse sur La Chatte qui présente quelques séquences presque documentaires (l’insertion d’un microfilm sous forme de point dans une lettre commerciale) et pose quelques unes des questions graves qui se posaient aux chefs des combattants de l’ombre ; ainsi Bernard Blier, chef du réseau, à Cora/Françoise Arnoul : Ici, on n’a pas confiance. Jamais. Et on se tait. Et le même donnant des pilules de cyanure : Ce qui est agréable avec ça, c’est qu’on n’a pas le temps de savoir si c’est agréable.