L’autre soir, en bâillant devant ma DVDthèque et en m’interrogeant sur ce qui pourrait enjoliver mon humeur morose, je me suis demandé ce que pouvait bien donner, plus de dix ans après sa sortie sur les écrans, La cité de la peur, film symbolique de l’esprit Canal+, dont on peut dire tout le mal qu’on veut, mais qui a représenté, avant la multiplication des chaînes de télévision et l’explosion d’internet, un moment assez important dans le rapport des Français avec leurs petites lucarnes
Les Nuls, qui sont arrivés en 1987 sur la chaîne à péage, elle-même créée fin 1984, ont fait beaucoup pour constituer, avec l’attention donnée à une diffusion parfaite de nombreux sports (et, ne nous racontons pas d’histoire, au porno du premier samedi du mois) son identité de désinvolture, d’audace et d’irrespect allié, il est vrai, à de gros moyens financiers et à quelques privilèges dus à la proximité amicale d’André Rousselet et de François Mitterrand.
Mais c’est après leur départ de l’antenne, fin mars 1992 (et la mort, en 1989 de Bruno Carette) que Chantal Lauby, Alain Chabat et Dominique Farrugia ont tourné, sous la direction sans aspérité d’Alain Berbérian La cité de la peur, drôle de film atypique, sans beaucoup d’équivalents dans notre pays trop cartésien pour un humour qui doit tout aux farces nonsensiques des Monty Python.
À dire vrai, je ne suis pas sûr que cet humour là ne soit pas extrêmement daté et qu’il puisse, dans quelques décennies, conserver sa puissance comique, qui est quelquefois irrésistible et détonante. Sans doute est-il préférable d’avoir vécu l’époque de la survenue de ces iconoclasmes et leurs nombreuses références/clins d’œil à des publicités et à des tics de l’époque.
Un exemple ? À l’aéroport, le type qui s’adresse à tous les passagers en interrogeant Loulou ?, jusqu’à ce qu’une jeune femme brune se retourne Oui, c’est moi !, parodie d’une publicité fameuse de 1988 pour les parfums Cacharel et parodie d’une parodie des Nuls qui se demandaient où pouvait bien être passée cette fameuse Loulou. Un autre exemple ? La dégaine des mimes qui manifestent contre le cinéma parlant sur la Croisette et qui sont renversés par la course folle de Serge Karamazov (Alain Chabat) lancé à la poursuite du tueur ; vous n’avez pas reconnu les bonshommes en maillots rouge et blanc de la publicité Kodak réalisée par Jean-Paul Goude ? Et ainsi de suite…
Assez souvent, ça fuse et ça éclate de façon éclatante, voire rubiconde : des dialogues formidables, enchantés, magistraux. Celui-ci, entre Odile Deray (Chantal Lauby) et le commissaire Bialès (Gérard Darmon), celui-ci voulant séduire celle-là :
– Parlez-moi de vous plutôt…
– Non, Odile, moi c’est Odile ; Pluto c’est l’ami de Mickey
– Ah non, Pluto, c’est le chien de Mickey, l’ami de Mickey, c’est Dingo !
Grandiose et surréaliste.
Pourquoi alors être tombé dans le travers de l’humour potache, à base de blagues scatologiques, d’images de rhinocéros copulant, de festivals de pets et de vomis récurrents ? Les douleurs d’entrailles font-elles vraiment partie de l’humour qu’on attend ? Si l’équipe s’était débarrassée de ces scories trop faciles, quel bonheur ce serait !