Et au bout de ce film heureusement court (80 minutes) mais dont la fin tire pourtant à la ligne, on est tout étonné de ne pas entendre annoncer que les décors étaient de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell. On s’arrête juste avant de se dire que l’émission était proposée par Pierre Sabbagh. Parce que si quelque chose m’a rappelé les soirées boulevardières de Au théâtre ce soir, c’est bien ce film à faux suspense bâti dans un seul cadre et interprété comme sur une scène à l’italienne.
Les premières images montrent le malheureux David Kentley proprement étranglé, puis tassé dans un coffre par les deux amants diaboliques Brandon Shaw (John Dall) et Philip Morgan (Farley Granger), l’un puant de cynisme, l’autre orgasmique fébrile. On sent que toute la pièce va tourner autour de la découverte du zigouillé par les invités à la soirée et par les contrastes faciles entre les conversations superficielles et la réalité de la situation.
On peut décerner à Hitchcock un point de mérite pour avoir mis en scène, au lendemain de la guerre et dans la puritaine Amérique des situations sexuellement originales. D’abord la jolie Janet Walker (Joan Chandler) semble avoir le cœur assez vaste pour avoir été successivement fiancée à Brandon, puis au mièvre Kenneth Lawrence (Douglas Dick) et l’est depuis peu au trucidé David. Rare liberté de mœurs ! Puis les deux tueurs, qui pratiquent l’assassinat comme un des beaux-arts, dans un mélange un peu simpliste des billevesées de Thomas de Quincey, d’André Breton (L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolver au poing, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule) et de Frédéric Nietzsche sont clairement homosexuels. Et ceci même si le diabolique Brandon a donc apparemment (pour donner le change ?) eu un flirt avec Janet. Mais le propos de Philip, qui lui est soumis, ne laisse pas la moindre place au doute : Tu m’as toujours terrifié depuis le lycée. Ça fait partie de ton charme.
Tout cela est assez intéressant comme le sadisme qui consiste à montrer l’inquiétude puis l’angoisse du père (Cedric Hardwicke) de David Kentley et, au téléphone, de sa mère qui se demandent ce qui a bien pu arriver à leur fils et, parallèlement, l’indifférence piapiatante de sa tante (Constance Collier).
Mais bon… C’est bien là l’apanage des pièces policières réussies, des coups de théâtre, des connivences des spectateurs dans la salle qui sont plus au courant que les comédiens de ce qui s’est passé sur la scène. Rien que de classique.
La plupart des commentateurs s’extasie devant l’exploit technique qu’aurait réalisé Hitchcock en faisant en sorte que les raccords entre les huit plans-séquences soient relativement discrets pour donner aux spectateurs l’illusion d’un unique plan-séquence pour tout le film, Je cite Wikipédia sans rien comprendre à cette histoire de boutique, un peu comme lorsque mon garagiste m’explique des histoires de carburateur. Qu’un réalisateur soit, en plus, un excellent connaisseur des techniques, ce n’est pas un admirateur de Duvivier et de Kubrick qui va le regretter. Mais c’est un supplément qui n’est pas indispensable, des techniciens étant là pour ça et cette virtuosité ne devant pas constituer l’unique intérêt du film…