Réussir sa mort.
Il me semble que François Truffaut est passé là tout à fait à côté de la plaque, tournant un film qui ne manque pas d’intérêt mais qui me paraît être à tout moment en décalage, en faux rythme sur le récit qu’il s’est donné à conter, qui n’a pas la bonne vibration qu’on attend des personnages, qui ne sonne pas juste, dans un imperceptible décalage avec son propos. Imperceptible mais gênant, finalement et donc un peu vain.
Le récit est aussi mélodramatique, emphatique que l’histoire est improbable, les dialogues sont très insuffisants, ternes, anonymes, la direction d’acteurs est négligée (une constante chez Truffaut, d’ailleurs), les scènes sont répétitives et pâles. La seule bonne idée est de faire présenter, puis narrer les retrouvailles de Bernard Coudray (Gérard Depardieu) et de Mathilde Bauchard (Fanny Ardant), qui ont jadis vécu une passion forte, se sont séparés et, fortuitement se rencontrent à nouveau, tous deux désormais mariés sagement, par un personnage à la fois extérieur et impliqué, qui joue un peu le rôle du chœur antique : Mme Jouve (Véronique Silver), patronne du club de tennis où se retrouve toute la petite société prospère de la grande banlieue de Grenoble, où se déroule le film.
On ne voit pas trop, sinon par une malignité qui se retourne contre la malignité et qui rend la chose maladroite, pourquoi Truffaut ne s’empêche pas la facilité romanesque qui fait de Mme Jouve une grande amoureuse qui s’est jadis défenestrée pour avoir été abandonnée par son amant, s’est naturellement ratée mais est contrainte de porter désormais une prothèse de jambe. Ça n’apporte rigoureusement rien au propos du film, la passion malsaine, idiote et dévorante de Bernard et de Mathilde.
Mme Jouve est le seul personnage qui, à part les deux protagonistes principaux, ait quelque substance ; car les autres, tous les autres n’ont aucune épaisseur, sont des comparses, des silhouettes à peine ébauchées, alors qu’il y avait à faire, par exemple avec Roland, l’éditeur homosexuel de Mathilde (Roger Van Hool) ; de la même façon, les époux trompés, Arlette Coudray (Michèle Baumgartner) et Philippe Bauchard (Henri Garcin) sont presque transparents, translucides, alors que leur effarement, gravement décrit, aurait pu constituer un utile contrepoint au récit d’une passion à quoi on n’adhère pas. Car La femme d’à côté n’est pas La peau douce (sans doute un des deux ou trois meilleurs films de Truffaut) où l’histoire de Pierre (Jean Desailly) et Nicole (Françoise Dorléac) entraînait le spectateur.
Il n’est pas impossible que ce scepticisme soit dû au jeu banal des deux acteurs. Gérard Depardieu m’a semblé bien mièvre, bien insignifiant, sans éclat et sans puissance. Et Fanny Ardant use à l’excès, comme souvent, des belles harmoniques de sa voix et des fastes répétitifs de son sourire. Et puis Truffaut, là encore comme trop souvent, use et abuse d’anecdotes sans doute à lui ou à ses proches survenues, et qui sont terriblement artificielles, terriblement artificiellement mal posées dans le déroulement du film. Ainsi par exemple la scène où Mathilde déchire sa robe légère ; celle où la bassine de frites prend feu et sûrement une demi-douzaine d’autres… Il y a la volonté un peu mesquine de ne rien gâcher de petits trucs qu’on a vus et qu’on veut à toute force réutiliser…
Ni avec toi, ni sans toi conclut Mme Jouve devant le désastre final. Certes, mais on aurait aimé que la chose fût un plus finement posée…