La solitude, évidemment…
S’il n’était un tout petit peu trop long, je hausserais bien mon appréciation sur La garçonnière, qui vient de me réconcilier presque avec le cinéma de Billy Wilder, capable du meilleur (Boulevard du crépuscule) comme du bien banal (Avanti !) mais qui bénéficie, en tout cas, d’une renommée peut-être un peu au dessus de sa vraie valeur.
J’ai, en tout cas, particulièrement apprécié l’intelligence matoise et la subtilité du développement du scénario de La garçonnière qui, c’est vrai, tourne les yeux vers le vaudeville mais ne se limite pas à ce qu’on voit au théâtre, les portes qui claquent, les amants cachés dans les placards, les quiproquos générateurs de situations horrifiantes, les hasards improbables et tout le bataclan. Situation vaudevillesque, certes, que celle de Baxter (Jack Lemmon), paisible employé d’une gigantesque compagnie d’assurance qui, par naïveté, par faiblesse de caractère et difficulté de résister à la demande d’un supérieur hiérarchique, par espérance aussi de voir ainsi sa situation progresser, en vient à prêter systématiquement son appartement à tous ses collègues qui le lui demandent pour y abriter leurs amours adultères et s’y envoyer en l’air avec leurs secrétaires…
La première heure du film – qui en compte deux, très précisément – pétille d’esprit en présentant ces cavalcades libertines et culmine lors de la scène où le pauvre Baxter – quasiment traité comme une centrale de réservation – gère avec une maestria tout de même un peu affolée les contraintes contradictoires des emplois du temps de ses obligés, obtenant de l’un qu’il décale son rendez-vous pour laisser la place à un autre et vice-versa. Mais cette heure passée, on se demande comment cette habile moquerie des chevauchées volages va pouvoir se poursuivre une autre heure durant.
On avait certes bien vu surgir dans l’entrelacs compliqué des coucheries, un peu auparavant, une aventure entre le hiérarque Sheldrake (Fred MacMurray) et la gracieuse liftière Fran Kubelik (Shirley MacLaine). On avait bien saisi que Baxter/Lemmon était amoureux, sans oser l’avouer, de Fran. Mais la bifurcation qui surgit à la moitié du film ne nous dirige pas vers la gentillette issue qui consisterait à réunir les deux personnages. Ou, tout au moins, pas immédiatement. Cette bifurcation est particulièrement heureuse, parce que sans larmoyer, elle conduit doucement le spectateur vers la tristesse de Baxter et de Fran ; il y a même quelques scènes délicates et réussies qui frôlent doucement le drame, la tentative de suicide aux somnifères de l’une, la solitude de l’autre une nuit de Saint Sylvestre, dans un bar qui doit sentir le tabac froid et la bière surie…
Puis ça se redresse : on n’est pas dans le noir, mais dans le gris léger ; J’ai le don de tomber amoureuse du mauvais type, au mauvais endroit, au mauvais moment… dit Fran à Baxter, et un peu plus tard Pourquoi je ne tombe jamais amoureuse de quelqu’un comme vous ? et lui de répondre C’est la vie….
S’arrêterait-il là, le film serait une très grande réussite. Mais Wilder se prend lui-même à sa propre virtuosité et il prolonge un peu trop son récit, jusqu’à l’achever dans un happy end qui fait évidemment plaisir à tout le monde, mais qui n’a pas la même force que le reste de La garçonnière.
Je ne suis pas toujours amateur de Jack Lemmon, quelquefois un peu grimacier, mais il est là très bien maintenu ; Shirley MacLaine est moins présente, mais tout aussi éblouissante que dans Irma la douce, trois ans plus tard (avec les mêmes Wilder et Lemmon d’ailleurs).