L’aigle vole au soleil.
Issu d’un DVD consacré à des courts métrages montagnards réalisés par Werner Herzog, qui comprend aussi un reportage sur le volcan de La Soufrière aux Antilles et un autre sur une ascension en Himalaya, La grande extase du sculpteur sur bois Steiner est un objet assez bizarre, dont on aurait bien vu la place dans la défunte émission de télévision Les coulisses de l’exploit, depuis bien longtemps disparue. Une émission un peu similaire dans son esprit à celui de Cinq colonnes à la une, le grand magazine d’information et qui, sur le volet sportif s’efforçait d’aller voir un peu au delà de la seule performance pour en exposer les singularités et les à-côtés.
Walter Steiner fut, il y a une quarantaine d’années un excellent sauteur à skis, de ces athlètes qui, lancés à une allure folle sur un tremplin, se propulsent comme des oiseaux à des distances invraisemblables avant d’atterrir – en tâchant de ne pas se casser la figure à l’arrivée – sur une pente douce et de parvenir à s’arrêter sous les applaudissements de la foule. Steiner obtint une médaille d’argent au Jeux olympiques de 1972, à Sapporo au Japon sur le grand tremplin mais brilla encore davantage en vol à skis qu’en saut à skis : la différence réside essentiellement dans la longueur du tremplin porteur, qui dépasse 200 mètres pour le vol, contre 120 pour le simple saut.
En vol à skis, donc, Steiner a remporté deux titres de champion du monde, à Planica, en Yougoslavie (aujourd’hui Slovénie) en 1972 et à Vikersund, en Norvège en 1977, avec une médaille d’argent en 1973 à Oberstdorf en Allemagne.
Tout ça n’avait pas d’importance ni d’intérêt sur un site de cinéma si ce n’avait été filmé par Werner Herzog, cinéaste atypique et amateur de performances excessives et atypiques, plein de curiosités pour des êtres et des lieux singuliers. Le personnage de Walter Steiner est un de ceux là, ébéniste de profession, mais qui, aussi, sculpte des personnages bizarres à partir de pièces de bois, de souches, de troncs ; et surtout éprouve depuis toujours l’étrange volupté lorsqu’à l’issue d’un élan dont il doit maîtriser tous les paramètres, il s’envole dans le ciel et s’efforce d’étirer ce vol non seulement le plus lointainement mais aussi le plus élégamment possible. C’est l’extase de l’envol et la recherche de la perfection formelle qui le retiennent.
Et non pas, comme le voudraient les organisateurs de la compétition de Planica, où Herzog le filme, la performance brute, absolue, le record de distance parcourue qu’on ne peut obtenir qu’en reculant le départ sur le tremplin, quelles que soient les conditions météorologiques, notamment le vent qui peut pousser l’athlète à dépasser les limites de sécurité. Malgré ses fermes demandes, Steiner est poussé à sauter de plus en plus loin et tel est son talent qu’il survole la compétition, non sans se blesser lors de son deuxième saut…
On le voit, c’est tout simple et même si Werner Herzog filme avec beaucoup de qualité esthétique cette discipline sportive éminemment spectaculaire, ça n’existe cinématographiquement que parce que le cinéaste fait entrer le spectateur dans l’angoisse, l’inquiétude, le souci, l’agacement, la colère de Steiner, accompagnés par la musique du groupe Popol Vuh, habituel accompagnateur du réalisateur….