On a aimé ça…
Que La grande vadrouille ait été pendant des années le plus grand succès du cinéma français et que certains en parlent encore avec émotion laisse tout de même un peu perplexe, voire un peu gêné. En 1966, date de sa sortie, nous connaissions déjà Le cave se rebiffe, Les tontons flingueurs, Cent mille dollars au soleil, Les barbouzes, c’est-à-dire la meilleure veine de Michel Audiard et nous sommes allés nous extasier devant le cinéma spectaculaire et falot de Gérard Oury ? C’est bien vrai ?
Oui, c’est vrai, j’y étais et je me rappelle encore que j’ai vu La grande vadrouille au Royal Pathé, à Grenoble et que j’en avais été ravi ; après Le corniaud et avant Le cerveau, on nageait dans de la vaste comédie tournée avec des moyens importants et des acteurs épatants. En plus ça n’avait rien d’égrillard ou de dégradant. C’était du pot-au-feu solidement calé, des histoires où on pouvait venir en famille. Le succès n’avait rien d’étonnant et il n’y avait pas de raison que ça ne continue pas avec la folie des grandeurs, Rabbi Jacob, La carapate, L’as des as ; ensuite, ça a été bien plus incertain…
Je n’avais pas revu le film depuis au moins trente ans et je me le suis infligé sans déplaisir mais avec un certain scepticisme : j’ai trouvé que c’était bien longuet, que ça avait beaucoup vieilli. Si Bourvil (prioritairement cité au générique) et Louis de Funès sont, chacun dans son registre, absolument parfaits, s’il y a, ici et là, les éclats jetés par, en vrac, Marie Dubois, Mary Marquet, Jacques Bodoin (grandiose Méphistophélès du début), si quelques gags font mouche, c’est interminable et ça manque terriblement de rythme.
Beaucoup de scènes sont démesurément étirées et font des clins d’œil sans finesse aux spectateurs (le bain turc, la poursuite avec jet de citrouilles sur les poursuivants allemands, la méprise due à un numéro de chambre mal cloué, qui transforme le 9 en 6 et qui amène les deux héros à se tromper de chambre) : on a la sensation que le réalisateur ne veut perdre aucun des effets trouvés par le scénariste et qu’il souligne trois fois le trait, en pressant le citron, si l’on veut. Et puis des chutes, des quiproquos, des cabrioles, comme au cinéma muet, des lourdeurs gênantes, comme le face-à-face du chef du commando, Big Moustache (Terry-Thomas) avec un phoque au zoo de Vincennes, comme le déguisement en fille de joie d’un des aviateurs anglais qui, dans une rue chaude des Halles conduit des passants émoustillés à choir dans le trou d’une bouche d’égout et à se faire dépouiller de leurs vêtements : c’est aussi mauvais que Les sous-doués en vacances…
Heureusement l’antagonisme des caractères Bourvil/Funès réserve d’excellents moments, la gentillesse râleuse de l’un mettant admirablement en valeur la persécution tyrannique de l’autre : l’échange des chaussures, des bicyclettes, les postures et les mimes, quelques traits de dialogue percutent bien.
De là à avoir été – à demeurer ? – un film mythique !…