Tranquille comme le Diable.
Sans aller trop loin dans l’hyperbole louangeuse, je dirais volontiers que j’ai passé un très bon moment en découvrant ce film bref (1h23), superbement photographié par le grand chef opérateur Armand Thirard et réalisé par Maurice Tourneur dont c’est sans doute la meilleure œuvre. Outre d’avoir mis en scène l’inusable Volpone, le titre de gloire de Maurice Tourneur est d’être le père de son fils, Jacques Tourneur, maître du cinéma fantastique, auteur de La féline, de Vaudou (vus il y a trop longtemps pour que j’en parle) et de l’admirable Rendez-vous avec la peur, où figurent certaines scènes parmi les plus angoissantes que je connaisse…
Parmi elles une main dont on ne sait à qui elle appartient et qui se pose sur la rampe d’un escalier sévère que descend le héros John Holden (Dana Andrews). Allez savoir si cette main maléfique et inquiétante n’a pas été inspirée au fils par le film du père ! Car La main du diable, elle aussi est une histoire démoniaque, bien sûr ; mais un récit assez classique qui a fait florès dans la littérature de tous les temps : celle de la vente au Démon de son âme, vente qui permet d’acquérir sur la Terre richesse, beauté, jeunesse, puissance, argent, talent, mais au prix terrifiant de sa damnation éternelle.
Si la légende de Faust est l’avatar le plus connu de cette riche mythologie, il y a bon nombre de contes qui voient le mortel, par le biais d’un subterfuge ingénieux, se montrer plus malins que le Malin lui-même et le rouler finalement, au bout du suspense. C’est exactement ce qui arrive ici au bout d’une narration extrêmement bien conduite, issue d’une nouvelle de Gérard de Nerval très enrichie par le scénariste, Jean-Paul Le Chanois.
Juxtaposition d’une réalité banale, triviale et, parallèlement, de l’enfermement d’un peintre médiocre qui, grâce au pacte qu’il conclut sans y croire avec le Prince des Ténèbres obtient fortune et amour. L’idée magnifique du film est d’avoir fait de Satan un petit bonhomme rondouillard, courtois, doucereux, sournois, disponible et d’avoir confié le rôle à Pierre Palau qui, au fil des séquences, devient de plus en plus inquiétant et angoissant. On a vraiment l’impression que le film, parti dans l’esprit d’un aimable conte philosophique, commence, au fur et à mesure qu’il progresse, à tutoyer l’angoisse. Pour racheter l’âme qu’il a vendue, le peintre, Roland Brissot (Pierre Fresnay) voit chaque jour doubler la somme qu’il doit acquitter et le film suit cette course folle de l’argent qui cavalcade, ruisselle, déferle : au fur et à mesure, Tourneur accélère et fait monter la tension, ferme toutes les portes d’espérance.
Malgré sa brièveté, La main du diable souffre tout de même d’un petit essoufflement dans son dernier tiers, singulièrement dans les séquences qui ont été célébrées par la critique pour leur esthétique : au contraire de beaucoup, j’ai trouvé peu satisfaisante la comparution de Roland Brissot devant l’aréopage de ceux qui ont constitué avec lui la longue chaîne des possesseurs de la main diabolique et qui vont lui permettre de sauver son âme : le procédé m’a semblé artificiel et naïf.
Cela dit, comment ne pas se régaler de l’abondance des talents réunis ? Au delà de Pierre Fresnay, tout en tension et en inquiétude, il y a cette merveille du cinéma d’avant : les seconds rôles qui, même s’ils n’interviennent que quelques instants, apportent leur présence, leur chaleur, leur épaisseur. Différence fondamentale avec le cinéma d’aujourd’hui, exclusivement centré sur les têtes d’affiche, qui néglige ceux qui forment, finalement la trame du spectacle…
Voir dans le même film Georges Chamarat, Antoine Balpêtré, Pierre Larquey, Henri Vilbert, Louis Salou, Robert Vattier, Gabrielle Dorziat… quel plaisir… Il n’y a guère que Noël Roquevert qui soit bizarrement distribué, en restaurateur italien… et une des plus inquiétantes séquences pour autant, c’est celle où Gabrielle Fontan, qui incarne une diseuse de bonne aventure, voit l’horreur dans les lignes de la main de Fresnay : deux minutes de rôle mais un visage effrayé qui montre l’innommable. Grands artistes !