À peine me souvenais-je avoir vu ça jadis, avant de découvrir les deux grands films de Claude Miller, qui sont Garde à vue et Mortelle randonnée. Je sais bien que tout ce qui touche à la courte et inquiétante carrière de Patrick Dewaere est nimbé aujourd’hui d’un sceau d’étrangeté et que certains de ses admirateurs font de la moindre de ses interprétations l‘ultima ratio de la qualité cinématographique. Je ne dis pas, d’ailleurs, qu’ils ont tort : il y avait un tel naturel, une telle aisance dans le jeu du jeune acteur, un tel décalage avec la plupart des comédiens de son époque, une telle faculté d’être identifié, reconnu, admiré que l’on peut tout à fait comprendre la tristesse de ceux qui se sont toujours désespérés de son suicide.
Cette façon d’être que Dewaere possédait, brutale, écorchée, agressive et souvent fragile aussi fascinait assez le monde du cinéma pour qu’on lui propose des rôles complexes et souvent désagréables. À quel grand acteur du passé le comparer ? Je n’en vois aucun. Michel Simon peut-être s’il avait été beau ; on voit que nous sommes à des années-lumière.
Il me semble que, pour son premier film, Claude Miller a eu beaucoup de chance (ou de subtilité, ou d’intelligence, ou d’intuition, comme l’on veut) de pouvoir placer son sujet entre les mains de deux comédiens qui se sont parfaitement compris et de pouvoir compter sur deux talents exceptionnels. Car, sans Patrick Dewaere et Patrick Bouchitey, je doute que le sujet scabreux (c’est-à-dire qui se situe sur une sorte de ligne de crête et qui est difficile à traiter) de La meilleure façon de marcher aurait conservé une aussi belle force dans nos souvenirs.
On lit à peu près partout que, du fait des exigences sécuritaires de plus en plus contraignantes et des risques, fantasmés ou réels, de pédocriminalité, les colonies de vacances, qui furent un passage obligé de beaucoup d’enfances, n’ont plus le vent en poupe. Ce n’était pas encore le cas en 1976. Mais on traitait plutôt le sujet dans un esprit de franche rigolade en s’appuyant sur les espiègleries des gamins, l’ennui incommensurable des moniteurs et les efforts désespérés de la direction pour maintenir un semblant d’ordre dans ces joyeux bordels.
C’est d’ailleurs un peu ainsi que le film de Miller commence. Et ne commence pas si mal, d’ailleurs. Il est vrai que la présence de Claude Piéplu, acteur lunaire et fascinant, toujours merveilleusement décalé sans être invraisemblable, était un gage de réussite. Et la galerie de monos prétentieux, salaces, égrillards, paresseux (Gérard/Marc Chapiteau, Léni/Michel Such) ou prétentieux, coincé, hypocrite (Raoul Deloux/Michel Blanc, qui commençait à tester son personnage de frustré à la limite de l’hystérie) pareillement.
Le talent de Miller est de faire déraper brusquement la machine lorsque Marc (Dewaere) surprend Philippe (Bouchitey) maquillé et travesti. Sans le grand talent des deux acteurs ne serait-on pas sceptique et même hilare devant cette découverte incongrue ? C’est bien ce qui se passe, en tout cas, dans le mauvais film de François Ozon qui s’appelle Une nouvelle amie où pareille surprise est ménagée. Chez Miller, ça passe ; enfin ça passe à peu près.
Autre merveilleuse idée de distribution : l’intervention de Christine Pascal, dans le rôle de Chantal, la fiancée fragile et gracile de Philippe. Il y avait, dans les yeux, dans la mine calme de l’actrice, une telle qualité de tristesse et de distance qu’elle incarne parfaitement cette jeune fille sage, à peine inquiète, mais qui sait qu’elle devra toujours veiller avec attention sur son mari.
Car c’était alors le temps où le sujet en soubassement du film, l’attirance homosexuelle de deux hommes, ne pouvait être traité qu’en filigrane. Exactement trente ans après La meilleure façon de marcher, en 2005, Ang Lee réalisait Le Secret de Brokeback Mountain et mettait en scène deux jeunes gens qui, après avoir connu une grande passion, se marient avec des femmes.. puis se retrouvent. Marc et Philippe se toisent, se provoquent, se fascinent… ne font rien d’autre et quelques années plus tard se retrouvent fortuitement, l’un et l’autre assagis, tout au moins en apparence.
Bien que court (82 minutes), le film de Claude Miller manque toutefois un peu de rythme et sonne quelquefois un peu faux. Mais il laisse en tout cas une certaine trace…