Tintin chez les satanistes.
La première partie du film mériterait, me semble-t-il, davantage que la moyenne, mais la seconde n’est pas du même niveau et place, à mes yeux La neuvième porte au rang d’un honnête film fantastique comme il y en a tant, peu propice à installer cette angoisse sacrée qui fait le meilleur des grandes réussites du genre.
Autant l’idée du triple grimoire satanique aux bois gravés imperceptiblement différents dont la réunion permettra d’évoquer le prince des Ténèbres est séduisante et glaçante, autant les péripéties qui aboutissent à cette réunion paraissent pauvres et convenues, banales jusqu’à ne pas profiter de la belle photogénie du château des adeptes du Malin.
Tout bon film d’épouvante doit graduellement faire monter une tension qui permettra aux spectateurs d’entrer dans le fantastique du récit, de s’y adapter, d’en oublier les invraisemblances pour, in fine sentir la peur comme une réalité palpable.
La neuvième porte commence assez bien et présente les étranges amateurs de livres occultes anciens avec juste ce qu’il faut d’étrangeté. Et pourtant les morts ne sont pas si spectaculaires que ça. Le premier suicidé pendu, le deuxième noyé dans un bassin ne sont guère glaçants, pour l’amateur éclairé ; ça s’améliore avec un autre pendu, la tête en bas et la baronne Kessler (Barbara Jefford) étranglée dans son fauteuil roulant dans le bel hôtel de Lauzun, sur le quai d’Anjou, dans l’île Saint Louis. Mais ça demeure un peu languissant : Dean Corso (Johnny Depp) a l’air de ne pas tellement comprendre que c’est de Satan qu’il s’agit et que la mystérieuse aide qui lui vient du ciel (si j’ose écrire !) avec la virevoltante fille aux yeux verts, très verts, trop verts (Emmanuelle Seigner) est particulièrement intéressée.
On a trop souvent l’impression que Roman Polanski se moque un peu de son sujet, qu’il instille une sorte de parodie là où, pour intéresser tout le monde, il faut traiter son sujet de façon très légère ou très grave : en d’autres termes, Le bal des vampires, c’est très bien (et nullement angoissant) parce qu’on se moque des mythes, Rosemary’s baby c’est encore mieux parce qu’on les prend au sérieux. Et j’ai le sentiment qu’avec La neuvième porte, on est entre deux chaises, ne sachant pas trop si on vogue dans un récit terrifiant ou dans une histoire à clin d’œil appuyé.
Un exemple ? Toutes les séquences au château de Saint Martin (en fait le château de Ferrières, en, Seine-et-Marne) : magnifique décor grave, illuminé de torchères au soleil couchant : c’est encore plus beau que le Somerton d’Eyes wide shut. Mais là, au lieu d’une célébration sataniste angoissante,des figurants encapuchonnés (qui m’ont fait songer aux Cigares du pharaon du cher Tintin) qui s’égayent en gloussant dès le drame consommé : c’est ballot d’avoir à tourner d’aussi beaux décors et de ne pas s’en servir comme il faut. Le château cathare de Puivert dans l’Aude, où se déroule la fin du film est un peu mieux utilisé mais sans que Polanski paraisse avoir envie de faire vraiment peur.
Et même si les yeux d’Emmanuelle Seigner, à la dernière image du film, sont plutôt mieux filmés que ceux de Robert De Niro à la fin d’Angel Heart, ça fait dix fois, cent fois moins peur.