Du fin fond du gouffre.
Il y a tout de même de grands mystères dans l’histoire du cinéma. Comment se fait-il que La nuit des revenants, qui concourt, avec nombre d’autres films de son réalisateur Ed Wood au rang envié de plus mauvais film de tous les temps (il y a de la concurrence, mais celui-ci figure parmi les favoris) figure en bonne place sur la plateforme de diffusion de la chaîne Arte ? Je sais bien que, contrairement à ses débuts, il y a près de trente ans, la chaîne franco-allemande s’est un peu débarrassée de sa prétention élitiste : elle diffuse même nombre de films en VF !), mais il est tout de même rigolo de tomber dans l’abomination de la désolation et de proposer au spectateur ahuri des choses aussi extraordinaires.
À dire vrai, ce n’est pas si étonnant que ça. Il y a une sorte de volupté, assez malsaine j’en conviens, pour les gens cultivés (dans les rangs de qui je me classe sans vergogne ni fausse modestie) à contempler, accablés, mais secrètement confortés dans le sentiment de leur supériorité intellectuelle, pareilles horreurs. Et il est vrai aussi que le cinéma d’Ed Wood est absolument dénué de prétention, ce qui n’est pas le cas, par exemple, de Chair pour Frankenstein de Paul Morrissey. Ou, en France et dans le genre proche de l’épouvante, de Jean Rollin.
C’est évidemment à Rollin, d’ailleurs, que j’ai pensé en découvrant, au début de La nuit des revenants, des créatures diaphanes au visage figé errer dans des paysages nocturnes de forêts inquiétantes ; il est vrai que les jeunes femmes à l’allure fantomatique qui surgissent ici et là des bosquets sont nettement moins déshabillées que leurs consœurs françaises, mais l’idée est à peu près identique. De toute façon chaque cinéaste amateur qui a entrepris de tourner avec ses copains de lycée un film à prétentions terrifiantes sait bien que la mixture Nuit+Brouillard+Fourrés permet d’installer le spectateur dans l’atmosphère adéquate.
La nuit des revenants est une sorte de patchwork mal cousu où se succèdent des séquences incongrues ; ce qui pourrait avoir un certain charme (comme la rédaction d’un bon élève de 6ème qui vous raconte ses vacances à la montagne); mais manque totalement de la courte poésie qu’on peut être en droit d’attendre d’un balbutiement. C’est une suite grotesque où il n’y a pratiquement rien à sauver à part – mais c’est si fugace et si peu approfondi – la vision d’un couple étrange constitué d’une dame assez vieille et de son gigolo qui viennent demander au défunt mari de la dame la permission de convoler et en reçoivent même la bénédiction.
Car c’est de ça qu’il s’agit. Un escroc de talent, le Dr Acula (Kenne Duncan) s’est installé dans une maison abandonnée au milieu des bois où ont eu lieu jadis de drôles de maléfices. Il y réunit, moyennant grasses rémunérations, un petit cercle de riches crétins qui veulent entrer en communication avec les morts de leur famille. Il entoure ses manigances de tout l’attirail horrifique congru et ses dupes sont ravies. Seulement parce qu’un couple de vieilles gens égaré dans le coin a été effrayé par l’apparition inopinée d’une goule vêtue de blanc, la police enquête et envoie un limier spécialisé dans les affaires anormales, le lieutenant de police Daniel Bradford (Duke Moore) qui, naturellement parvient à découvrir la supercherie, après quelques vicissitudes.
Supercherie ? Certes… mais il se trouve aussi – et c’est le twist final – qu’à force d’évoquer les morts, le Dr Acula en a réveillé quelques uns pour de vrai, qui, l’entraînent férocement dans leur enfer.
C’est-y pas merveilleux ? Ne citons que pour mémoire l’introduction dans le film de scènes sans vrai rapport avec l’intrigue (les deux amoureux trucidés) et la présence, aux côtés du Dr. Acula d’une sorte de colosse idiot et à peu près invincible, Lobo (Tor Johnson) que le réalisateur devait bien apprécier puisqu’il a à peu près le même rôle dans un autre chef-d’œuvre de la même farine, La fiancée du monstre.
Je vais essayer de me désintoxiquer, promis !