Le loup, meilleur ami de l’homme.
En étant un peu sommaire, on pourrait classer les horreurs qui surgissent des films d’épouvante en deux catégories : celles qui ont, d’une façon ou d’une autre, été si fascinées par le Prince des Ténèbres qu’elles lui ont voué un culte, lui ont donné leur allégeance et sont devenues les séides de Satan en adhérant avec enthousiasme à son Évangile ; et, d’autre part celles qui, par malchance ou fatalité, sont en quelque sorte contraintes à massacrer parce qu’il ne leur est pas possible d’échapper à leur noire destinée. Parmi les premières figurent toutes les variétés satanistes, adoratrices du Malin, représentantes de sa puissance sur terre, par exemple les sectateurs de La Malédiction et, au sommet du romanesque, les vampires (tout au moins tant que l’on a confiné Dracula à sa place maléfique). Les secondes sont des malheureuses victimes à peu près innocentes d’une péripétie dramatique dont elles ne sont pas responsables, jouets de forces qui les dépassent. Par exemple les zombies ou la créature de Frankenstein.
À mes yeux, plus est épouvantable le méchant et conscient de sa damnation, plus fascinant il est. C’est pourquoi les pauvres personnages obligés au Mal par leur destinée et qui ne tuent et ne profanent que parce qu’ils ne peuvent faire autrement, une force supérieure ou une nécessité naturelle s’emparant d’eux et les faisant souvent déplorer les catastrophes qu’ils créent, passent au second rang de mes cauchemars.
Et c’est bien pourquoi le loup-garou, homme misérable qui se transforme en fauve carnassier les nuits de pleine lune avant de se réveiller, horrifié par ses actes, ne me semble pas si effrayant que ça ; j’aurais volontiers parié que le mythe n’avait pas donné lieu à beaucoup d’interprétations cinématographiques si un rapide coup d’oeil sur Wikipédia ne m’avait appris le contraire (mais il n’est pas impossible qu’il y ait là-dedans beaucoup de fascination érotique, comme dans La bête de Walerian Borowczyk). N’empêche que je persiste à penser qu’il est plus glaçant de contempler les bourreaux prenant plaisir à accomplir les tortures qu’ils infligent que de voir expliqués leurs crimes par les traumas de l’enfance…
Léon (Oliver Reed), le loup-garou du film de Terence Fisher est né d’un viol. Le viol commis par un pauvre diable de mendiant enfermé pendant des années dans un cul de basse-fosse par un grand seigneur méchant homme (Anthony Dawson). Un viol sur une jeune muette, (Yvonne Romain), fille du geôlier, qui va accoucher d’un garçon la nuit de Noël, nuit où selon une certaine tradition, des esprits maléfiques peuvent s’introduire dans le corps d’un nouveau-né, s’il est enfant naturel et et le transformer en lycanthrope à la pleine lune. La créature ne peut être sauvée, rédimée, que s’il lui est porté un amour sincère et constant. C’est ce dont bénéficie le jeune Léon initialement grâce à ses parents adoptifs ; c’est ce que pourrait lui donner la jeune Christina (Catherine Feller), fille d’un riche marchand de vin qui l’emploie lorsqu’il a décidé de gagner sa vie. Mais la fatalité veille et le destin n’est pas souvent bienveillant. Après avoir, à son grand dam, égorgé et dépecé une demi-douzaine de braves gens, Léon sera tué lors d’une féroce battue menée par les villageois dans une scène qui fait songer à la fuite de Michel Simon sur les toits dans Panique de Julien Duvivier.
Le film s’ouvre par un gros plan sur les yeux de la créature fauve et le générique défile pendant que perlent des larmes : voilà ce qui dit assez l’esprit de La nuit du loup-garou : le malheureux Léon est un malade, vite reconnu comme tel par son père nourricier Don Alfredo (Clifford Evans) et sa servante Teresa (Hira Tallfrey) qui vont tout faire pour le protéger mais n’y pourront parvenir, aidés en cela par le prêtre du village (John Gabriel). Léon demandera lui-même à être brûlé et, lors de l’hallali qui clôture le film, pauvre bête traquée, parviendra à émouvoir le coeur dur du spectateur (je parle de moi, évidemment).
Sous les réserves fondamentales énoncées plus haut, La nuit du loup-garou est une belle réussite de la Hammer avec, comme de coutume, une grande richesse décorative, un magnifique Technicolor, des effets spéciaux très satisfaisants pour l’époque (1961) et des scènes fort belles de clair de lune où le berger Pepe (Warren Mitchell) guette la bête féroce qui dévore les moutons. Disons toutefois que la structure du film est un peu bancale avec une très longue exposition de près d’une heure (qui ne permet pas pour autant de mettre en avant la méchante figure du marquis Siniestro (Anthony Dawson) et une conclusion un peu bâclée malgré la qualité de l’image.
La Hammer avait d’ailleurs dû comprendre que le filon serait immédiatement épuisé puisqu’elle n’a pas tenté de ressusciter la bête : elle avait mieux à faire avec Dracula.