Du plus profond de la tranchée…
Je ne suivrai pas les dithyrambes prononcés avec éloquence sur La prochaine fois je viserai le cœur troisième film de Cédric Anger ; si je n’ai pas vu le deuxième, qui s’appelle L’Avocat, je me souviens encore assez bien du premier, Le Tueur, avec l’excellent Gilbert Melki qui, partant de prémisses scénaristiques bien intéressantes, m’avait paru bien maladroit – ce qui est pardonnable – mais surtout dépourvu de rythme et d’intelligence des personnages, ce qui l’est beaucoup moins.
Pourquoi rappeler ce médiocre souvenir ? Pour regretter que, nanti d’un scénario en or massif, de surcroît adapté d’une histoire aussi véridique que glaçante, Anger ne parvienne pas à aller plus loin que l’anecdote. Au fait j’exagère sûrement d’employer le mot d‘anecdote pour une histoire à faire frémir, celle d’un jeune gendarme de l’Oise, modèle de conscience professionnelle et, parallèlement, masochiste compulsif – ce qui le regarde – et surtout tueur en série. Même si, selon le réalisateur, des éléments fictifs ont été incorporés au récit, sans doute pour le dramatiser davantage, il semble que le film suive assez fidèlement le parcours du gendarme Alain Lamare, et de l’enquête qui lui a été consacrée par Yvan Stefanovitch sous le titre Un assassin au dessus de tout soupçon.
Toute l’aventure est, de fait, parfaitement filmée, dans une atmosphère bleuâtre, pluvieuse, réfrigérée, dans des contrées aussi banales qu’insignifiantes. Bouts d’autoroutes ou de voies rapides, zones pavillonnaires sans ancrages et sans âme, campagnes plates, grisâtres, boueuses, lumières ennuyeuses des réverbères, immenses parkings vides des centres commerciaux et des supermarchés, tristesse des visages.
Franck Neuhart (Guillaume Canet) passe de temps en temps chez ses parents (Jean-Paul Comart et Hélène Vauquois), braves gens qui n’ont sans doute jamais compris, ni même cherché à comprendre leur fils. Il fascine son jeune frère, pour qui il est modèle et exemple. Il fascine aussi sa femme de ménage, Sophie (Ana Girardot), dont le mari (Cédric Le Maoût) est frappé d’idiotie. France d‘en-bas, France périphérique sans histoire, en apparence, qui vit durement, bien loin des billevesées de la modernité et de la mondialisation dite heureuse.
Comme dans la réalité avec le gendarme Alain Lamare, le gendarme Franck Neuhart a soigneusement semé sur son parcours des tas de petits cailloux blancs qui ont été autant de bribes de piste permettant en fin de compte à sa hiérarchie de l’identifier et de l’appréhender. Et sans doute la nomenclature des épreuves qu’il s’inflige sont tirées des éléments de l’enquête : entortillement autour de son bras d’un fil de fer barbelé, immersion dans l’eau glacée d’une baignoire. Et puis la fascination morbide et malsaine pour les lieux de drague homosexuelle où il est attiré dans une relation complexe de répulsion/fascination.
Seulement qui est ce type si rigoureux et à la fois si détraqué ? C’est là que le film pèche. Je sais bien que, dans la réalité Alain Lamare – le personnage réel – a été interné dans un hôpital psychiatrique. Mais au cinéma, c’est tout de même un peu court : j’attends d’un écrivain, d’un cinéaste, qui ne sont pas retenus par la nudité des faits et les évidentes précautions à prendre lorsqu’il s’agit de condamner un homme devant un prétoire, j’attends donc, une réflexion, et avant tout une réflexion sur le Mal, dans ce genre de récits.
Qui ? Pourquoi ? Comment ? Qu’est-ce qui fait que ce garçon issu d’une famille sans éclat, mais tout à fait normale devient un pervers à l’activité abominable ? Cédric Anger laisse toutes les portes ouvertes : faiblesse mentale, traumatisme d’enfance ou d’adolescence, frustration sexuelle, fascination pour la toute-puissance apparente donnée par l’uniforme, la possession d’une arme ? Va savoir ! Il n’y a pas de réponse, ce qui peut se concevoir, mais il n’y a pas de pistes tracées, ce qui est bien regrettable.