Pluie fine.
Cinéaste assez rare, Christian Vincent n’est pas dépourvu de talent. Un très charmant, spirituel, intelligent film par quoi il est entré dans le paysage, La discrète, en 1990, avec Fabrice Luchini et Judith Henry. Avec le même (grand) acteur, L’hermine en 2015. Aussi, en 2012, Les saveurs du Palais, qui n’était pas désagréable, avec Catherine Frot et Jean d’Ormesson, qui se coulait dans les habits du Président François Mitterrand. Bien plus avant, cette Séparation en 1994, avec Isabelle Huppert et Daniel Auteuil, deux bien grands acteurs français sur qui repose, à dire vrai, toute la structure du film.
La séparation, c’est l’histoire d’un couple qui se délite ; ou plutôt les derniers mois, ou même les dernières semaines de la vie de ce couple. Couple normal, sans folies, sans éclats, sans abominations, sans violences, couple inséré dans la vie quotidienne, sans angoisse de chômage, sans soucis professionnels (en tout cas pas davantage que tout le monde), sans problèmes de logement trop petit, de parents exaspérants, d’amis (trop) envahissants. Une petite fille qui a l’air tout à fait épanouie et qui est tendrement choyée par ses parents. Rien à signaler, si l’on peut dire. L’extrême banalité de l’existence de la plupart des gens, en tout cas des citadins quadragénaires à l’existence d’apparence bien lisse, légèrement ennuyeuse aussi évidemment.
Et puis voilà que dans la grise permanence des journées, la vie conjugale s’est effritée. Jusque là, apparemment, il n’y a pas eu de crise majeure : ni fugues, ni aventures extra-conjugales ; en tout cas rien qui ait troublé la surface lisse de l’eau qui dort. Je suis une mer fameuse en naufrages : passions, folies, drames, tout y est, mais tout est caché, écrit Paul Morand à propos de je ne sais plus qui. Christian Vincent, qui adapte là un roman de Dan Franck, filme en clinicien un éparpillement dont on voit bien d’emblée que rien ne pourra l’arrêter.
C’est peut-être parce que ce regard est clinique, précisément, et d’un réalisme froid, glaçant, que le film semble si engoncé, si guindé, à la limite d’une autopsie. À aucun moment on ne peut ressentir la moindre empathie pour des protagonistes qu’on regarde déambuler sous l’œil du microscope qui les scrute. Anne (Isabelle Huppert) prend les choses en main la première ; on a bien vu, dès l’abord, qu’elle n’avait plus envie que son compagnon, Pierre (Daniel Auteuil), lui prenne la main, dans un de ces premiers gestes d’échange par quoi les amoureux se reconnaissent. Et très vite elle va lui envoyer au visage qu’elle est amoureuse d’un autre homme et qu’elle veut aller vers la séparation.
C’est assez simple, finalement : lui est un peu routinier, égoïste, confortable en quelque sorte. Et elle s’ennuie et rêvasse. Éternel syndrome Bovary, qui débouche, comme d’habitude, sur un désastre. Oh, certes, un tout petit désastre, un désastre minuscule à l’échelle de tout ce qui se passe d’affreux dans le monde. Mais désastre majeur pour une famille. Et un désastre dont on devine tout de suite qu’il est irrémédiable, malgré les quelques efforts et toute la bonne volonté employés pour essayer de le surmonter.
La séparation est un film couleur de grisaille ; un film terne. Il est possible que Christian Vincent l’ait voulu tel et on peut dire qu’il a parfaitement réussi dans son entreprise. Il est possible aussi que l’on ne puisse pas réaliser un film éclatant sur un sujet aussi écrasant d’ennui et de banalité. Heureusement le jeu toujours juste, précis d’Isabelle Huppert et de Daniel Auteuil, bien épaulés par le couple ami, Karin Viard et Jérôme Deschamps permet de supporter la lourdeur de l’histoire.