Une noyade.
Allons, soyons francs, soyons lucides et ne nous racontons pas d’histoires : si La sirène du Mississippi n’avait pas été réalisée par François Truffaut, dans quelle catégorie infamante aux yeux de la critique et des médias du Camp du Bien (rangeons là Le Monde, Télérama, Les Inrockuptibles et une palanquée d’autres, moins notoires) le film serait-il rangé ? Cette sorte de récit aussi tordu que torturé pouvait faire jadis le miel et le lait des cinéastes du Samedi soir, coutumiers des histoires un peu noires, à tonalités policières mais en aucun cas entrer dans les cases révérées par la Nouvelle vague.
Il est vrai qu’à partir du moment où il a dynamité les films de la Qualité française avec Les quatre cents coups et acquis une stature – au demeurant tout à fait justifiée – Truffaut, ayant évincé ses concurrents, s’est coulé dans leurs sillons avec la volupté de ceux qui sont inébranlables et qui, quoi qu’ils fassent – ou commettent – recevront – au mieux – les dithyrambes, – au pire – les explications justificatrices et un peu gênées de la doxa. Il y a des gens, comme ça, qui sont et demeurent intouchables et forcément intouchés.
En tout cas si le film se laisse voir, grâce à la complication (pourtant niaise et sirupeuse) du scénario, il ne fait que frétiller à ras de terre. De temps en temps on se demande pourtant comment le réalisateur est parvenu à rendre mauvais comme des cochons deux des plus grands acteurs du dernier siècle, Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo qui, presque à tout moment, jouent de façon décalée, fausse et souvent ridicule. Au demeurant le seul personnage qui soit convaincant dans le film, c’est le détective privé Comolli (Michel Bouquet) qui, lui, incarne vraiment son rôle. Mais les deux autres jouent leurs rôles vraisemblablement les plus pitoyables, en qui, malgré de rares exceptions, ils ne croient jamais.
François Truffaut avait déjà adapté au cinéma un autre roman de Cornell Woolrich (William Irish), qui est aussi un de ses films les plus médiocres, qui est aussi un de ses films les plus médiocres, La mariée était en en noir. Disons qu’il n’avait pas la main heureuse avec cet auteur de romans noirs. Comme il ne me viendrait pas à l’idée d’en lire une ligne, je ne sais pas si les livres de cet Étasunien sont, ou non, de meilleure qualité. Si les adaptations en ont été fidèles, on peut se dire que son propos est bien compliqué ; d’ailleurs il y a des gens qui aiment ça ; et ce n’est pas un amateur des grands feuilletons horrifiques des siècles derniers qui va vous dire le contraire.
Mais enfin, si on ne s’enquiquine pas, on est tout de même un peu stupéfait devant la nouillerie de Louis Mahé (Belmondo), prospère industriel de la Réunion, qui n’est pas disgracié par le physique ni la fortune et a besoin de faire appel à de petites annonces pour se trouver une fiancée ; par sa nigauderie de voir débarquer Marion Vergano, une jeune femme (Catherine Deneuve) qui prétend être une certaine Julie Roussel et qu’il ne reconnaît pas mais qu’il aime d’emblée ; par sa stupidité de lui donner l’accès à son compte bancaire ; par l’invraisemblance qui fait que la banque peut, sans se demander rien d’autre, remettre à l’aventurière près de 28 millions de Francs sans barguigner ; par le hasard inimaginable qui fait que la télévision régionale filme complaisamment Marion, devenue entraîneuse, lors de l’inauguration d’une boîte de nuit, et par l’heureux hasard qui permet à Louis Mahé, à cette occasion, de retrouver l’infidèle.
On pourrait multiplier par dix ces incohérences ; à dire vrai, ce ne sont pas choses les plus graves et, lorsqu’on aime le cinéma, on accepte bien souvent de se laisser embarquer dans un navire qui ondoie sur des flots qui n’ont pas de rapports avec la réalité ; sans cela il n’y aurait ni Alexandre Dumas, ni Jules Verne, ni Maurice Leblanc ; ni Monte-Cristo, ni Capitaine Nemo, ni Arsène Lupin. Mais je sens que je m’égare, une nouvelle fois agacé par un film regardé à nouveau sans déplaisir. Seulement c’est que Truffaut est installé sur un piédestal, et qu’il a fait tout pour faire choir de leur sellette Yves Allégret ou Christian-Jaque ; et qu’il n’a jamais avoué que c’était seulement pour prendre leur place.