La splendeur des Amberson

Bâillements de bonne compagnie.

C’est entendu, et assez rappelé ici et là, ce que nous voyons n’est pas le film, plus long et plus pessimiste que Welles souhaitait présenter. C’est entendu aussi, Welles a inventé (ou utilisé avec un grand bonheur) pour le cinéma des tas de trucs formidables : la voix off, le chœur renouvelé de l’Antique, la profondeur de champ, la contre-plongée, le fondu à je ne sais quoi et sûrement une kyrielle d’autres prouesses absolument formidables.

Mais qu’est-ce que c’est ennuyeux ! Qu’est-ce que c’est extérieur à tout sentiment, à toute émotion ! On a vraiment l’impression de regarder une épure géométrique qui se serait donné des airs de film (je ne suis sûr ni d’être scientifiquement correct, ni d’être compris, mais c’est ainsi que je ressens la chose). Aucun des personnages ne paraît avoir de la chair, de la substance, de la chaleur et on regarde une pauvre histoire qui se veut parabole de l’inadaptation d’une famille à la modernité avec un bâillement d’ennui.

Et puis on n’y comprend pas grand chose (ou alors j’ai dû m’endormir pour de micro-sommes à des moments décisifs). Pourquoi Isabel (Dolores Costello) n’épouse-t-elle pas Eugène Morgan (Joseph Cotten) ? Simplement parce qu’il s’est cassé la figure sur une contrebasse alors qu’il s’apprêtait à lui donner une aubade ? (On se fiche de qui, là ?) Pourquoi les jeunes gens qui sont si manifestement amoureux, Lucy Morgan (Anne Baxter, bien mignonne, soit dit en passant) et George Minafer (Tim Holt) font-ils alternativement mine de se bouder ? Pourquoi les Amberson finissent-ils ruinés ? Il se peut qu’une version plus longue et plus complète donne la solution à ces énigmes, mais finalement on se fiche vraiment de le savoir, tant le destin de tous ces gens indiffère…

images-91On ne sait pas trop où le film se passe. Sans doute dans une de ces bourgades supérieurement guindées où des familles sans passé mais avec un avenir sonnant et trébuchant singent les mœurs de la vieille Europe en ajoutant de fortes doses de vertu ombrageuse et un souci de la respectabilité qui les rendent un peu pitoyables. On voit bien que ce n’est pas trop loin du Sud patricien puisque les serviteurs stylés sont à peu près tous des Noirs affranchis, mais demeurés fidèles à leurs maîtres. Tout est faux-semblant et on ne parvient pas une seconde à imaginer que deux êtres puissent s’aimer en se retrouvant, vingt ans après, alors que rien de sérieux ne s’opposait vraiment à leur union, vingt ans avant…

Orson Welles a toujours bénéficié d’une extraordinaire aura auprès de la critique et a enchaîné bide sur bide devant les spectateurs, décontenancés, sans doute par sa façon révolutionnaire de filmer, mais sans doute plus encore par la froideur intellectualiste qui émane de ses films. C’est ce que je me dis avant d’aller regarder peut-être un jour Mr. Arkadin qui, au cinéma, m’avait, en des temps très anciens, laissé une impression plutôt favorable. Mais j’étais jeune alors, et la renommée m’impressionnait. Ce n’est plus le cas…

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