La Table aux crevés

Limites du genre.

Je mets à La table aux crevés une note passable, mais je ne recommande pas la vision du premier film d’Henri Verneuil, sauf si on nourrit une passion pour la filmographie exhaustive de Fernandel ou si l’on souhaite se faire une idée sur une des nombreuses adaptations de Marcel Aymé.

Aymé, c’est un des plus remarquables tempéraments de romanciers du dernier siècle, qui vous cueille dès la première phrase et ne vous lâche qu’à la dernière ; un peu comme Simenon ? On pourrait dire ça ; moins d’étendue dans le registre mais beaucoup plus d’humour et de distance avec la nature humaine.

la-table-aux-creves_168400_20962Et il a été beaucoup moins bien servi que le Liégeois au cinéma. Je n’ai pas tout vu, loin de là, ni La rue sans nom de Pierre Chenal, ni La belle image de Claude Heymann, ni (ou alors je ne me souviens pas) Le chemin des écoliers de Michel Boisrond. Mais Le Passe-muraille de Jean Boyer, ce n’est pas terrible, Clérambard, d’Yves Robert, c’est insuffisant, Uranus de Claude Berri, c’est très médiocre, La Vouivre, de Georges Wilson est accablant. Et que dire alors de La jument verte qui incline vers le graveleux, alors qu’Autant-Lara avait sans doute le regard, le talent le plus à même de traduire l’esprit sarcastique de Marcel Aymé… Et La traversée de Paris du même Autant-Lara ? Ah oui, ça c’est remarquable, mais c’est plus de l’Autant-Lara que de l’Aymé

Cette longue digression sans grand intérêt commise, que vaut La table aux crevés ? C’est un bon petit film sans beaucoup de relief qui ne tient, n’existe que par Fernandel ; on a précisément la certitude que les producteurs n’ont risqué leurs sous sur l’inconnu Henri Verneuil que parce qu’il avait arraché l’accord de la vedette. Le roman, qui obtint le prix Renaudot en 1929, est le troisième d’Aymé et se passe son cher Jura ; et, nonobstant les marseillades qui sont la rançon obligée de la présence de Fernandel (et de toute sa troupe), le récit est assez fidèlement adapté…

Si ce n’est… mais la chose est importante que le récit est beaucoup plus noir, beaucoup plus tragique dans le roman, qu’Urbain Coindé (Fernandel, donc) n’est pas un type bien intéressant, paysan âpre au gain plutôt mesquin et que le garde champêtre/facteur Capucet (Edouard Delmont) à l’esprit faible, bien loin d’être à peine effleuré par les tirs croisés de Coindet et de Frédéric Gari (Andrex), agonise vite et meurt en crachant son sang.

Mais naturellement, en 1952, pour un premier film, on ne veut pas trop noircir un tableau, et alors qu’il y avait une sacrée histoire de haines, d’ennuis et de désolation, on fait un peu dans la mollesse, bien qu’il y ait dans le récit des tas d’ombres et de haines… La présence de Fernandel qui a seule rendu possible le film, en a également limité l’ambition…

Et ça, c’est toute l’histoire de l’acteur, qui a pu être ici et là si émouvant, mais qui n’a jamais pu évacuer complètement les grimaces…

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