Il est assez curieux que ce film, dès qu’on le revoit, entraîne un changement de l’impression qu’on avait eue lors de sa vision précédente : à ma troisième rencontre avec La terrasse, je retrouve le plaisir éprouvé la première fois, en contradiction avec mon jugement mitigé de 2006. Subjectivité des impressions, approfondissement des points de vue, bizarrerie des états d’âme…
Cette fausse comédie à l’italienne marque, d’une certaine mesure, la fin d’un genre éclatant. Mais je trouve qu’Ettore Scola a montré une grande lucidité et même un certain courage pour démonter, démythifier, en un essai brillant, ce qu’ont pu être les espérances progressistes de l’Italie.
Parce que le réalisateur lui-même était issu de la mouvance communiste et plusieurs de ses acteurs en faisaient, ou en avaient fait partie. En premier lieu Carla Gravina (Carla, femme de Luigi/Mastroianni), qui fut député du PCI, mais aussi Stefano Satta Flores (Tizzo, le critique de cinéma) et, d’une façon plus singulière Ombretta Colli (Enza, la femme d’Amedeo/Tognazzi) qui tourna plus tard casaque et alla chez Berlusconi. Et par dessus le marché (et la frontière) Serge Reggiani était lui aussi clairement engagé à gauche.
Mais le rapport des intellectuels avec les partis communistes n’était pas identique des deux côtés des Alpes depuis au moins le milieu des années 50 (XXème congrès du PCUS, rapport Khrouchtchev et révélation des crimes de Staline, répression du soulèvement de Budapest) et davantage encore depuis les événements du printemps 1968. Le PCI, sous la férule habile de Togliatti, Longo et Berlinguer avait opté pour une attitude clairement critique (eurocommunisme) vis-à-vis de l’Union soviétique – gardant ainsi l’appui des intellectuels et des compagnons de route – alors que le PCF s’enfermait dans un conservatisme étroit, conservant auprès de lui beaucoup moins de grandes figures, à la notable exception près de Louis Aragon ; il n’a en tout cas jamais retrouvé l’extraordinaire magistère moral, artistique, scientifique, philosophique qu’il exerçait depuis la Libération.
L’espérance communiste demeurant donc plus vivace en Italie (jusqu’au compromis historique de 1976 et de l’étiage maximum à 34,37% des voix), le réveil fut plus brutal jusqu’à aboutir à la disparition pure et simple du mouvement, début 1991, alors que, en France, le PCF a continué à gérer son petit matelas d’élus (matelas en peau de chagrin, soit dit en passant), maintenu en survie artificielle par le PS qui a intérêt à conserver sur sa gauche un partipicule à peu près fiable.
Réveil brutal, donc, après le traumatisme des années de plomb, marquées par le terrorisme et ses assassinats démentiels (Aldo Moro 9 mai 1978). Et rencontre sur La terrasse de ces militants et sympathisants qui jouent à croire encore aux lendemains qui chantent et constatent en leur for intérieur que leur vie est une dévastation, que les femmes qu’ils fascinaient ne se prennent plus aux pièges de leurs impostures et ont gagné leur indépendance…
Par un procédé cinématographique habile, Scola recale à chaque fois l’histoire qu’il va conter ; ou plutôt le coup de projecteur qu’il va donner successivement sur le scénariste Enrico (Jean-Louis Trintignant), frappé de stérilité d’écriture, sur le journaliste Luigi (Marcello Mastroianni), qui s’est laissé avoir par la routine, sur Sergio (Serge Reggiani), producteur à la RAI, anorexique humilié par sa hiérarchie, sur Amedeo (Ugo Tognazzi), prisonnier de sa villa hollywoodienne et son désir frustré pour sa femme Enza, sur Mario (Vittorio Gassman), député communiste, qui ne croit plus à son idéal et qui n’a pas le courage de se cramponner à l’histoire d’amour qu’il pourrait – peut-être ! – encore vivre avec Giovanna (Stefania Sandrelli).
Champ de ruines. Comme dans Nous nous sommes tant aimés, les rêves n’ont pas résisté à la poussière de la vie. Remarquez, ça ne change pas beaucoup : dans La grande bellezza, c’est à peu près la même chose dans un autre milieu : des privilégiés déprimés.