« Qui est in, qui est out ? »
Je veux bien que La valse des pantins soit une intuition prémonitoire de notre triste aujourd’hui métastasé par des gugusses et des bouffons balancés les uns après les autres sur les écrans de télévision pour grignoter ce qui reste de notre disponibilité intellectuelle. Mais cette prémonition ne suffit pas à faire un film.
Ayant écrit cela, je m’en repends aussitôt : comme souvent, l’idée de départ est intéressante, intelligente et sa mise en œuvre initiale est vigoureuse. Mais au bout de cinquante minutes, voilà que Martin Scorsese a épuisé à peu près toutes les virtualités de son sujet et il lui reste encore une bonne heure à meubler. D’où l’impression d’extrême dilution, d’introduction de scènes absolument sans rapport avec la colonne vertébrale du film ; ainsi par exemple l’interminable moment glauque où la bien laide Masha (Sandra Bernhard) complètement foldingue essaye de séduire le malheureux Jerry Langford (Jerry Lewis) emprisonné dans une gangue de ruban adhésif.En revanche, après les trois ou quatre minutes initiales un peu désordonnées où le présentateur vedette de télévision Langford manque d’être haché menu par l’hystérie adulatrice de ses fans, le début du film est excellent. Langford a, pour s’en débarrasser, donné à son admirateur Rupert Pupkin (Robert De Niro) la folle idée chimérique qu’il pourrait être facilement joint à son bureau. Le chemin d’avanies de Pupkin, bercé d’illusions et jamais découragé est d’une grande cruauté.
Il y a là quelques séquences d’entomologie délicieuse : Langford ne parvenant qu’à grand mal à se séparer de Pupkin, qui le relance perpétuellement, sur les marches de son palace, alors qu’il ne rêve que d’aller dormir ; davantage encore la patience courtoise, indifférente et lassée des employés de la société de Langford, constamment relancés par Pupkin qui attend le rendez-vous promis, confie une cassette enregistrée de ses sketches à Cathy Long (Shelley Hack), belle, lisse, chef-d’œuvre de politesse impeccable et s’entend dire par elle qu’il faut qu’il en retravaille longuement les plaisanteries… Belle observation cruelle que ce nom de Pupkin, systématiquement déformé en Pipkin ou Potkin, ces voix calmes qui promettent, encouragent et anesthésient. Admirable doucereux mépris du marché des illusions.Malheureusement, ces bonnes prémisses posées, l’enlèvement de Langford par Pupkin et le chantage consécutif, puis la conclusion, absolument bâclée, plombent gravement La valse des pantins et chaque séquence en alourdit le caractère démonstratif et pourtant non maîtrisé.
Je suppose que Robert De Niro a, dans la masse, tourné beaucoup des films exécrables ou négligeables ; mais, sans le connaître plus que ça, je ne me souviens pas l’avoir vu mauvais ou même insignifiant : il met dans chacun de ses rôles une touche qui le classe pour jamais aux premiers rangs des grands artistes du cinéma mondial de tous les temps. Sa performance, en pauvre type qui s’illusionne, veut connaître sa minute de célébrité (et y parvient, grâce à l’infâme veulerie du spectateur moyen) n’a donc rien ici pour étonner.
Mais c’est bien la première fois depuis des décennies que la présence de Jerry Lewis ne me donne pas un haut-le-cœur. À partir de ma dixième année, et après avoir sottement apprécié les immondices où il faisait duo avec Dean Martin (Un pitre au pensionnat, Le trouillard du Far-West et bien d’autres), je l’ai tenu comme un des plus accablants histrions de l’écran, à l’égal de Charlot. Eh bien dans le rôle assez subtil – quoique second – qu’il joue chez Scorsese, je l’ai trouvé excellent, dense et même profond (en tout cas lorsque le scénario le lui permet). Il y a une séquence assez longue et extraordinaire, celle où Pupkin/De Niro et son amoureuse Ria/Diahnne Abbott envahissent la maison de campagne de Langford/ Lewis au grand effarement des serviteurs asiatiques. La rage rentrée de Langford qui revient d’une partie de golf et qui découvre les deux parasites est un grand moment. Il paraît que pour mettre Lewis en état de fureur maîtrisée, De Niro n’avait cessé de proférer des insultes antisémites. Je ne sais si l’anecdote est véridique, mais elle m’a en tout cas permis de découvrir quelqu’un qui aurait pu être un grand comédien.