Charmante poussière.
On n’imagine sans doute plus aujourd’hui ce que fut la célébrité de Noël-Noël pendant près de quarante ans dans un pays paisible dont il incarnait à la perfection le type ; modèle du Français moyen, au physique replet, au sourire narquois, souvent grognon,le cœur sur la main mais rouspéteur quand il faut sortir le portefeuille, plutôt trouillard dans les petites choses de la vie et plein de courage dans les grandes. Voir le très très bon Père tranquille de René Clément où il incarne un petit bourgeois de province, apparemment pusillanime et en réalité chef d’un important réseau de résistance.
On n’imagine pas ce que fut sa notoriété et pourtant il y a aujourd’hui un acteur qui marche dans ses traces : Gérard Jugnot,lui aussi d’une physionomie passe-partout, râleur, colérique, héroïque par la force des choses (voir Monsieur Batignole) ; il est d’ailleurs bien significatif que Jugnot ait repris dans ce qui fut, il y a douze ans, l’immense succès des Choristes le rôle exact de Noël-Noël dans La cage aux rossignols. Beaucoup de fées s’étaient penchées sur le berceau de Noël-Noël : dessinateur, pianiste, acteur, dialoguiste, adaptateur, scénariste. La vie chantée est son unique réalisation et il se met en scène dans ce qui fut peut-être le plus abouti de ses talents : celui de chansonnier, qui troussait avec une facilité déconcertante des couplets spirituels et narquois, et en quelques vers impeccables, croquait les travers, les ridicules, les gros défauts, les péchés mignons de toute une humanité. Souvent de petits bijoux de fine observation et de goguenardise gentille qui n’oublient jamais de se moquer de soi.
Ces chansonnettes détaillées avec ironie au cabaret, voilà que Noël-Noël les met en images en une suite de quinze sketches : embarras de la vie quotidienne, souvenirs de jeunesse, vignettes ironiques, agacements et méprises, fourbi de petites aventures et d’angoisses microscopiques, moqueries sans méchanceté, émois injustifiés, toute une trame dans quoi on sourit souvent de se reconnaître.Observations souvent très fines, par exemple dans Les départs et l’œil subtil porté sur les quais de gare, avec les attitudes de ceux qui partent et de ceux qui restent, les pensées informulées des uns et des autres : un régal. Même orientation avec L’enterrement ou avec Les étrennes. Soucis du quotidien avec Les deux lettres ou Le petit bricoleur. De moindres réussites, toutefois (Le rasoir du coiffeur, Cinéma parlant).
Mais de très jolies grinçantes ethnographies dans deux sketches qui touchent l’un et l’autre à la guerre : Les Polonais, d’abord, où un brave troufion frappé d’amnésie prend les soldats feldgrau pour des Polonais qui – dans son esprit – ont finalement repoussé l’invasion allemande et sont venus au secours de la France et s’étonne des réactions de ses voisins de misère dans un abri lors d’un bombardement. La guerre passée et sa mémoire revenue, il a une jolie réflexion sur la relativité des choses.
Plus grinçant encore, l’apologue Deux et deux font quatre où un matois bonhomme explique à son neveu, qui pense que le bourg où ils habitent n’a que 2000 habitants qu’il en a au moins 4000, puisqu’à peu de temps de distance, plus de 2000 personnes sont venues applaudir avec la même ferveur d’abord le maréchal Pétain puis le général de Gaulle… Et, n’est-ce pas ? ça ne peut pas être les mêmes…La vie chantée présente une kyrielle de visages et de trognes bien choisis ; peu sont connus, même des archéologues, à part Gabrielle Fontan, Madeleine Barbulée, Jacques Grello. Noël-Noël est la seule tête d’affiche ; on peut trouver ce cinéma-là archaïque et insignifiant ; n’empêche qu’on a passé un bon moment.