Admirable Michel Simon !
L’éléphant est irréfutable ! disait le regretté Alexandre Vialatte ; de la même façon pourrait-on écrire que Michel Simon est irrécusable.
Quelle pitié de ne pouvoir imaginer, dans le morne paysage du cinéma français d’aujourd’hui (ou de demain, après-demain, ) un talent capable de cerner une apparence (toujours aussi peu gâtée par la nature, certes) de sale type revêche et grognon et immédiatement ensuite de fantaisiste amène et rigolard !
A dire le vrai, cette joyeuse pochade, qui repose sur un jeu de rôles théâtral assez classique (jumeaux qui s’intervertissent, illusions d’être aimé par ses proches) ne tient guère que par le génie des mots de Guitry et par la qualité somptueuse des têtes d’affiche : Michel Simon, donc, exceptionnel, mais aussi la grande Marguerite Pierry, une des actrices favorites du Maître (Ils étaient neuf célibataires, Le comédien), à la gouaille prodigieuse et aux rires de gorge inimitables. Même Louis de Funès qui, à l’époque dans les mille rôles où il courrait le cachet pouvait être exaspérant (comme d’ailleurs, il put l’être quand il devint grande vedette), même Funès, donc, est bon.
Sans doute pas un Guitry de première cuvée, mais un de ces films plein de charme et d’esprit qui étaient alors proposés aux spectateurs avec élégance et humour, sans campagne promotionnelle idiote, sans lourdeur ni insistance, mais en donnant la certitude qu’on allait passer une heure et demie délicieuse…
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Le nez de Claude Gensac – la future Mme Cruchot – est trop pointu pour parvenir – ou être jamais parvenu – à faire frémir en moi ce que peuvent susciter les pommettes hautes d’une Elsa Martinelli ou d’une Stéphane Audran qui sont, à mes yeux, le comble du charme…
Mais qu’importe ceci ! En revanche, la question qui se pose sur le sort d’Albert Ménard-Lacoste après la fin du film est des plus intéressantes : un peu sottement, j’aurais tendance à écrire que Guitry, sceptique s’il en est, n’est pas pour autant jamais désespéré ; donc, une nouvelle vie peut commencer. Mais dans un soir de cafard, il peut bien m’arriver de songer le contraire…
Vous savez bien que le muret qui sépare tragédie et comédie est ridiculement facile à franchir…