Impasse du 5 à 7…
Le troisième film de Philippe de Broca annonce bien tout ce qui fera le charme et la nécessité de ce cinéaste désinvolte, séduisant, qui tournait des films pleins de rythme et d’esprit en y semant, ici et là de jolies gouttes d’amertume, un cinéaste qui, avec un peu plus d’audace, aurait pu se hausser au niveau des plus grands, en tout cas si la comédie italienne avait trouvé durablement droit de cité en France. Il avait en tout cas le talent de faire surgir ici et là, au milieu des cabrioles et fariboles qu’il mettait en scène, une expression, un trait, un bout de tristesse vite estompés mais suffisamment mémorables pour que l’on conserve au bout du compte un petit malaise.
En apparence, rien de plus superficiel que l’intrigue de L’amant de cinq jours : Antoine (Jean-Pierre Cassel), délicieux, séduisant garçon vit aux crochets de Madeleine (Micheline Presle), directrice d’une importante maison de couture et beauté éclatante qui commence pourtant à sentir l’âge et les rides arriver. Antoine, gigolo idéal, civilisé, bien élevé, insouciant, ne s’empêche jamais de plaire et on devine que Madeleine, indulgente, lui autorise des passades.
Claire (Jean Seberg) qui, on ne sait trop pourquoi et comment est une amie de Madeleine, est mariée avec un personnage lunaire et sage, Georges (François Périer), archiviste érudit qui ne vit que pour sa femme, ses deux enfants et l’obstination de démontrer qu’un célèbre ingénieur du 17ème siècle à qui tout le monde se réfère n’a en fait jamais existé. Ce doux rêveur tolère avec indulgence le comportement de sa femme, qui revient souvent bien tard au domicile et semble n’accorder pas beaucoup d’importance à son rôle de maîtresse de maison et de mère de famille.
Ceci posé entraîne forcément, dans la dynamique élémentaire des choses, qu’Antoine et Claire se rencontrent, se captivent, s’émerveillent et se jouent la comédie, l’un et l’autre se prétendant différents et davantage que ce qu’ils sont. On a le sentiment qu’aucun d’eux n’est dupe, mais que leur histoire est si agréable, si facile et si ravissante qu’ils avancent, les yeux grand fermés vers un avenir qu’ils se savent l’un et l’autre incapables de vivre vraiment, mais qui leur permet de quitter leur emploi, lui, de gigolo, elle, d’épouse qui s’ennuie un peu.
On voit là que le film n’est pas la caleçonnade qu’on pouvait craindre ex abrupto. Tout, d’ailleurs, est dans le titre du film : L’amant de cinq jours ne l’est que du lundi au vendredi, parce que, le week-end venu, les choses rentrent dans l’ordre immuable des évidences. Quelques années plus tard, en 1965, Françoise Sagan publiera un roman, La chamade, qui sera adapté à l’écran par Alain Cavalier en 1968, avec Michel Piccoli, Catherine Deneuve et Roger van Hool. On peut y songer en voyant le film de Philippe de Broca : ici et là, inéluctabilité de la réalité qui passe par delà, au delà des exaltations factices, des amours de tête qui donnent, assurément, de grands émois mais en aucun cas le vivre et le couvert et surtout la si rassurante stabilité des vieilles robes de chambre.
À la fin du film, Madeleine/Presle récupérera son jeune amant qui, pendant encore quelques années lui permettra de s’illusionner ou d’en donner l’apparence. Georges/Périer, toujours captivé par ses recherches érudites s’émerveillera lorsque Claire/Seberg arrivera au logis un peu tard : Tu es si belle quand tu rentres... Et Claire poursuivra un peu n’importe comment le long chemin où elle accrochera le regard des hommes, pour un soir, huit jours, deux mois.
Jean Seberg, qui eut une vie si fragile, si incertaine et si brève est absolument délicieuse. Micheline Presle (qui aura 98 ans au mois d’août prochain) a toujours su tout jouer, comme François Périer. Et on se demande toujours pourquoi Jean-Pierre Cassel, qui avait tout, séduction, charme, élégance, talent, n’a eu qu’une carrière en demi-teinte… L’amant de cinq jours est un film plus rose que gris, mais dont les nuances sont souvent incertaines…