À mes yeux, un Rohmer de seconde zone (il n’y en a pas de troisième !) et certainement le moins bon de la série des Comédies et proverbes. Il ne me semble pas que ça puisse vraiment démarrer, et même ces égarements et incertitudes du cœur, marque de fabrique de l’immense talent de ce cinéaste atypique semblent artificiels, guindés, invraisemblables.
Le chassé-croisé amoureux est – au moins depuis Marivaux – une des figures de style typiques de la littérature et du cinéma français ; il n’y a donc rien là qu’on puisse reprocher, et la continuité de toute l’oeuvre rohmérienne est impeccable, mais il me semble que la recherche formelle prend le pas sur le réalisme des situations : grandes perspectives urbaines de Cergy-Pontoise, géométries trop parfaites pour être séduisantes, recherche un peu trop habile (donc un peu vaine) de symétrie dans les couleurs (la scène finale est typique : les quatre protagonistes sont vêtus de la même façon, les uns de vert, les autres de bleu : et c’est l’interversion qui conclue le film : la bleue est désormais avec le vert, le bleu avec la verte : c’est trop intelligent – ou trop primaire ? – pour être honnête, ou convaincant).
Cela dit, mon 3 est un 3 d’amoureux de l’intelligence et de la précision de Rohmer, l’analyste le plus subtil du cinéma français, le seul dix-huitièmiste que nous ayons (peut-être avec Renoir
, quelquefois) ; c’est un 3 d’exigence et de classement relatif : L’ami de mon amie
ne tient pas le choc du Genou de Claire
ou même de Pauline à la plage
, mais s’il pleuvait des films comme ça tous les mois, on se réconcilierait avec le cinéma contemporain !
Une remarque qui me vient à l’esprit : après Les nuits de la pleine lune où Marne-la-Vallée était à la fête (!), c’est une autre Ville nouvelle, Cergy, qui est sur le devant de la scène ; lorsque l’affreux Godard
filmait Alphaville
ou 2 ou 3 choses que je sais d’elle
, le gauchard en peau de lapin qu’il était, et qu’il est resté exhalait, de son opulente Suisse romande, ou des rues friquées du Sixième arrondissement la vertueuse indignation du bourgeois honteux et relaps qu’il a toujours été. Lorsque le réactionnaire Rohmer
(voir L’Anglaise et le Duc
ou L’Arbre, le maire et la médiathèque
, si l’on conteste ce qualificatif, qui est, de mon point de vue plutôt valorisant), donc lorsque le réactionnaire Rohmer
filme la banlieue, il le fait sans sympathie, mais sans hypocrisie : il y a des tas de gens qui vivent là, et qui ne s’y trouvent pas mal…
Mais ceci, disait Kipling, ceci est une autre histoire !