L’amour en fuite

Fin finale.

Est-ce qu’on peut vraiment suivre François Truffaut, lorsqu’il déclare, un peu provocateur aux Cahiers du cinéma : Je savais, en tournant (le film), que je faisais une connerie ? Pas tout à fait, et au moins pour deux raisons.

La première est qu’il n’était pas inutile que fût récapitulée, synthétisée, et même, si je puis dire, conceptualisée la singulière personnalité d’Antoine Doinel, personnage important de l’histoire du cinéma ; la seconde est qu’il fallait bien que Truffaut tuât son double pour aller autre part.

Il y a un rapport d’évidence entre L’homme qui aimait les femmes et L’amour en fuite : c’est Truffaut lui-même, son goût immodéré de la rencontre et son incapacité à aimer vraiment, au sens où Jacques Chardonne définit la chose : Il n’y a pas d’amour en dehors du mariage et il n’y a d’amour qu’en dehors de la passion : cet amour-là sauve nos vies du naufrage en nous offrant le partage d’une même solitude. Comme le reproche dans une scène du film Colette (Marie-France Pisier, à la beauté bluffante) à Antoine (évidemment Jean-Pierre Léaud), l’amour, c’est tout de même autre chose que la rencontre…

Récapitulation autocentrée de toute une vie double, celle de François, celle de son fac-similé, Antoine, L’amour en fuite pèche un peu par l’attendrissement sur soi-même, l’autocomplaisance qui sourd de partout : faible Antoine, si séduisant, si imprévisible, si attachant, si égocentrique, qui plaît aux femmes de sa vie mais qui, littéralement, ne les attache pas, ne les retient pas, le regrette, mais est tout à fait incapable de changer sa nature fugace, légère, instable. Si la fin du film, et les engagements avec Sabine (Dorothée) pris avec sincérité laissent apercevoir une rose lueur d’espérance, dans un happy end gentil et artificiel, aucun spectateur attentif n’y peut croire : ça se terminera pareil, quelques années plus tard.

On sent de la nostalgie, là-dedans, dans la volonté, qui confine au système, d’aller chercher des insertions des quatre autres films consacrés à Doinel, de les mettre en scène, de les parer de tous les prestiges de la chose révolue… Oui, c’est vrai, Doinel, ça a été le gamin de 13 ans des Quatre cents coups, l’adolescent de 18 ans d’Antoine et Colette, le jeune homme de Baisers volés, le jeune père de Domicile conjugal. Mais lorsqu’il a 33 printemps, le sujet est épuisé. D’ailleurs, curieusement, dès qu’il aborde les récentes ou actuelles amours de Doinel, avec Liliane (Dani), ou Sabine (Dorothée), on voit que Truffaut est moins à l’aise ; c’est répétitif ou insignifiant…

Sachant que c’était là le dernier épisode de sa saga, il conte qu’il était ému et attristé, tout comme Léaud, au dernier jour de tournage. Je les comprends ; j’étais un peu chagrin, aussi, de devoir quitter ce vieux camarade de classe, dont je n’avais pas toujours été proche, dont je n’avais pas toujours compris les foucades, mais qui m’était familier, comme les mecs qu’on a connu en entrant en 6ème, et à qui on dit adieu, sans regret, mais non sans émotion, au jour où on entre dans l’âge adulte.

Est-ce qu’on peut imaginer ce qu’aurait été Doinel si Truffaut, dix ans après, l’avait réincarné à 43, 53, 63 ans…? On ne le saura jamais. Trois ans après L’amour en fuite, l’artiste tirait sa révérence…

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