L’Argent de la vieille n’est sorti en France qu’en novembre 1977, alors que le film date de 1972. On ne peut évidemment pas éviter de se poser la question de savoir si le grand succès d’Affreux, sales et méchants, de Scola, prix de la mise en scène à Cannes en 1976 n’a pas permis au film de Comencini une sortie, certes tardive, mais qui n’était peut-être pas prévue à l’origine. Je serais en tout cas preneur de toute anecdote ou historiette là-dessus.
Les rapports sont de l’ordre de l’évidence, même si les deux récits ne filment pas exactement les mêmes réalités, les sous-prolétaires de Scola me paraissant un ou deux degrés au-dessous, dans la pauvreté et la pouillerie, de ceux de Comencini, qui sont davantage que des résidus sociaux, de très pauvres gens plutôt attachants.
Mais enfin, c’est la même Italie misérable des laissés pour compte de l’expansion économique, des îlots abandonnés des marges de la ville, qui ne sont pas parvenus à monter dans le train de la prospérité et qui ne peuvent pas y aspirer sauf gain miraculeux sur le sort, le million de l’assurance pour l’un, le succès aux cartes pour l’autre.
Et dans l’une et l’autre film, il y a cette drôle de figure de la grande fille sage, qui se lève tôt, mouche et torche les marmots, accomplit sans se plaindre sa lourde besogne de bête de somme vouée depuis l’éternité à éponger toutes les saletés de la vie. Dans Affreux, sales et méchants, la fatalité ne la lâche pas : la dernière séquence, désespérante, la montre lourdement enceinte, déjà prête à perpétuer un destin sans fuite possible ; dans L’Argent de la vieille, c’est assez différent : c’est elle qui a confectionné le gâteau au poison qui va rompre la folle chaîne de l’espérance ; cette petite Cléopâtre au front buté, pensif, à l’œil sec (Antonella Demaggi), à qui son père a dit, au tout début du film : Pourquoi es-tu si triste ? Ris de temps en temps !… Est-ce qu’elle va pouvoir un jour s’en sortir, elle ?
Je n’éviterai pas l’iconoclasme en avançant que le personnage joué par Bette Davis est un peu en retrait sur ce qu’on pourrait en attendre ; il manque de cruauté et de fièvre méchante, de la folie qu’on trouvait si bien dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? ou dans Chut, chut, chère Charlotte. En revanche, j’ai trouvé drôlement bien Joseph Cotten, mi-gigolo, mi-majordome, réunissant un peu les deux personnages masculins du Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, inspiration vraisemblable, toutes choses égales par ailleurs…
Silvana Mangano éclatante mondine de Riz amer, est éblouissante de talent en ménagère vidée par la vie de misère, dans un de ses derniers films; Alberto Sordi en fait, à mes yeux, un soupçon de trop, mais demeure un acteur inoubliable ; la musique de Piero Piccioni est très réussie…
Quel dommage que le DVD, paru chez un éditeur qui ne nous avait pas habitué à de si mauvais coups, soit lamentable, pisseuse, verdâtre, honteuse…