Tout ce qu’on voudra mais Cédric Klapisch a un certain nez pour respirer certains traits de l’esprit d’une époque et un certain doigté pour les présenter. Qu’il soit un cinéaste de talent est une autre question, à quoi on peut d’ailleurs sans choquer répondre par oui ou par non, mais c’est là un sujet secondaire par rapport à ce qu’il parvient à capter.
C’était déjà le cas avec Le péril jeune, les ravages de la drogue chez des lycéens politisés, puis, plus sensiblement encore, avec Chacun cherche son chat, film témoin de la boboïsation de l’est de la capitale. L’auberge espagnole, qui date déjà de 2002, photographie l’étrange système Erasmus qui incite les jeunes gens de toute l’Europe à aller glandouiller une année universitaire entière à Rome, Londres, Madrid ou Lisbonne, sous prétexte de s’ouvrir à l’universalisme (qu’on peut aussi appeler, en l’espèce, cosmopolitisme). Jeunes gens qui s’étonneront ensuite de trouver un monde professionnel sensiblement différent de celui qu’ils ont connu. On me dira que les discussions sans fin et les nuits alcoolisées sont de tous les pays et de toutes les époques ; mais précisément, on a l’impression qu’avec Erasmus on a inventé l’eau sucrée…
Bon. Je ravale une mauvaise humeur due à mon grand âge (et donc à la jalousie sournoise que je ressens de n’avoir pas passé quelques mois à Milan, Athènes ou Séville). C’est un peu étiré, L’auberge espagnole et le récit principal, celui de l’appartement où cohabitent, à Barcelone, trois filles et quatre garçons, tous de nationalité et de langue différentes, est un peu parasité par l’histoire qui va un temps lier le héros, Xavier (Romain Duris) et Anne-Sophie (Judith Godrèche), jeune femme assez nouille un peu trop délaissée par son mari, Jean-Michel (Xavier de Guillebon), médecin assez puant. J’aurais préféré que la caméra de Klapisch s’appesantît un peu davantage sur les singularités de la cohabitation et fouille beaucoup plus profondément les colocataires. Parce qu’en fait on ne s’approche un peu que de Wendy, l’Anglaise (Kelly Reilly) et de la Belge Isabelle (Cécile de France), la première étant dotée d’un frère, William (Kevin Bishop), tout-fou (et prêt aux extrémités pour sauver l’honneur de sa sœur), la seconde étant lesbienne, ce qui, au moment du tournage du film, pouvait sinon encore choquer, du moins un peu surprendre.
Mais les autres protagonistes ne sont que des silhouettes, Alessandro, l’Italien (Federico D’Anna), Tobias, l’Allemand (Barnaby Metschurat), Soledad, l’Espagnole (Cristina Brondo), Lars, le Danois (Christian Pagh) ; de temps en temps une échappée qui arrive n’importe comment (l’irruption d’une ancienne petite amie de Lars et son bébé de 6 mois : un petit tour et puis s’en vont, sans qu’on sache ni pourquoi ils sont arrivés et comment ils disparaissent). On aurait aimé que les différents caractères soient un peu plus mis en valeur.
Et j’ai l’impression que, comme beaucoup de films (ceux de François Truffaut n’en sont pas exempts), L’auberge espagnole est nourrie de petits faits vrais, anecdotes amusantes (la mère baba-cool de Xavier (Martine Demaret) lui lançant T’aimes pas le boulgour, t’aimes pas le tofu, qu’est-ce que je peux te donner ?) ou révoltantes (le refus d’un professeur catalaniste d’enseigner en espagnol) qui arrivent comme ça mais n’ont pas de pertinence ou plutôt de vrai lien avec le reste du discours.
Cela étant, c’est un film très admissible, qu’on suit sans déplaisir. Mais qu’on efface de la cervelle aussitôt qu’on l’a vu.