Conte de fées pour grandes personnes.
Je ne suis pas autant tombé, ou retombé, sous le charme que je l’espérais, mais j’ai été très séduit non seulement par l’extraordinaire beauté de Gene Tierney (qui ne le serait ?), mais aussi par l’atmosphère romanesque et ravissante de ce conte de fées pour grandes personnes. Cela dit et paradoxalement, ce sont sans doute ces mêmes aspects qui me retiennent d’aller jusqu’au chef-d’œuvre, ni même à la note maximale.
Pourquoi ? Peut-être parce que cette veine poétique, irisée, délicate, me paraît assez spécifiquement anglo-saxonne et que ces collisions entre les mondes – celui des morts, celui des vivants – fonctionnent sans doute mieux pour des spectateurs moins encombrés que nous de cartésianisme ; j’avais, il me semble, ressenti la même réserve légère pour La vie est belle de Frank Capra ; ce n’est nullement dirimant mais le fait est que je ne marche pas tout à fait.
D’autant que je soupçonne souvent l’Anglo-Saxon moyen de dissimuler sous les oripeaux du fantastique une solide dose de frustration sexuelle transcendée par le merveilleux, le surnaturel, le féerique (au fait, inutile de me rappeler que Joseph Mankiewicz est d’origine juive allemande : né et mort aux États-Unis, il en est pleinement représentatif).
Je ne pense pas enfoncer des portes ouvertes en suggérant que Lucy Muir/Gene Tierney, engoncée dans un médiocre mariage, libérée d’icelui par son opportun veuvage peut tout à fait fantasmer à partir du portrait du rogue loup de mer Daniel Gregg/Rex Harrison de la villa qu’elle loue ; et pas davantage qu’une si ravissante jeune femme confinée par la vie entre sa servante et sa fille puisse imaginer et écrire des histoires de matelot assez salées ? Qu’elle se fasse ensuite séduire par Miles Fairley/George Sanders, sorte de Landru paisible, collectionneur compulsif d’aventures féminines et auteur de livres d’enfants sous le pseudonyme d‘Oncle Neddy va d’ailleurs tout à fait dans le même sens… (Comme y vont – je ne vais pas me retenir, tant que j’y suis – les nombreuses images de mer déchaînée projetant des torrents d’écume, image on ne peut plus parlante et classique).
Cela dit et mon sarcasme jeté, L’aventure de Mme Muir est un film délicieux qui passe graduellement de la légèreté à la gravité pour s’achever sur une fin très émouvante, très belle, très paisible, très sereine. Les débuts, Lucy Muir s’installant dans la villa et les sortes de farces, de niches que lui fait subir le Capitaine Gregg m’ont fait songer, par leur allégresse à l’installation de Mary Poppins dans la maison Banks (ma remarque est tout sauf désagréable) : c’est enlevé, narquois, spirituel et on sent bien que les relations entre la jolie veuve et le rude marin vont être délicieuses…
Peu à peu le récit se fait plus grave et l’existence de Lucy s’embrume ; il me semble que les dernières séquences, où l’âge est venu sont-elles un peu trop rapidement expédiées et le réalisateur aurait pu insister un instant de plus sur la solitude sèche de cette vie vouée à l’attente d’un rêve ; mais la fin, je le répète, est un très ravissant moment de poésie…