Lawrence d’Arabie

La folle du désert.

Quand je pense que j’ai attendu 47 ans, depuis sa sortie en France, pour regarder cette pâtisserie anglaise boursouflée, d’une interminable longueur et d’un ennui profond, où la beauté niaise de Peter O’Toole, ses roulements d’yeux, ses mimiques insupportables, ses gambades frétillantes donnent tout de même une curieuse image d’un de ces Britanniques excentriques qui pissent contre le vent et s’étonnent ensuite d’avoir les babouches mouillées !

Oh, je comprends bien que, sur écran géant, en Scope, Technicolor, son stéréophonique et tout le bataclan, cette lourde machine ait pu donner à voir et, à une époque moins voyageuse qu’aujourd’hui, ait pu faire rêver des millions de spectateurs. Après tout, à Paris comme en province, les salles qui présentaient les films de voyage de Connaissance du Monde étaient, elles aussi bondées. Depuis que nous avons les séries d’Ushuaia et que nous connaissons M. Arthus-Bertrand, on nous la fait moins facilement…

Car enfin, même si la musique de Maurice Jarre est prenante et parfaitement réussie, 3h42 de désert et de chevauchées à dos de dromadaires, c’est un peu lassant, et le rythme d’une étouffante lenteur du film ne prend un peu d’allure qu’à l’extrême fin, lorsque Lawrence s’aperçoit qu’il a été refait comme un petit enfant boudeur.

Il me semble que dans son chef-d’œuvre, Le Pont de la rivière Kwaï ou dans le moins réussi, mais intéressant Docteur Jivago, le réalisateur David Lean avait montré son sens de l’ampleur, mais aussi celui du récit ; rien de palpitant dans Lawrence d’Arabie, seulement le parcours d’un type assez bizarre, masochiste et exalté, au regard extatique, qui, au nom d’on ne sait quelle lubie vient allumer quelques incendies dans un Proche-Orient qui n’en avait pas vraiment besoin.

Turcophobe et francophobe, ce qu’on peut concevoir d’un Britannique, il n’agit pas, en fait, pour asseoir l’influence de la Grande-Bretagne sur la région, mais par pure arabophilie (cela, c’est le film ; la réalité du personnage historique paraît avoir été moins manichéenne) ; son idéalisme lui revient dans la figure ; on peut penser que, quinze ans après, il en mourra, sur sa moto.

Lawrence d’Arabie est un des films les plus dépourvus de femmes de l’histoire du cinéma ; sur la cinquantaine de noms figurant au générique, sur Imdb, je ne recense qu’une actrice, dans un rôle muet (et d’ailleurs non crédité) d’infirmière ; les yeux devaient être bien naïfs, en 1962, pour ne pas voir par là une présentation détournée mais fort claire de la pédérastie de Lawrence, rendue assez douteuse par le physique de Peter O’Toole, un des acteurs les plus figés qui se puisse, presque orgasmique lorsqu’il tue.

Bref, tout ça n’est pas terrible, malgré les décors, les costumes, quelques bons acteurs (Alec Guinness ou Jack Hawkins) et la photogénie éternelle du désert…

______________

On m’a cherché des noises parce qu’impavidement, j’aurai moqué une des vaches sacrées de notre époque, le prétendu droit à la différence, qui me semble être une des manifestations les plus ennuyeuses du politiquement correct.

Sur le sujet de l’homosexualité, je me suis déjà exprimé nombre de fois et j’ai répondu – de façon satisfaisante, selon mes interlocuteurs, qui craignaient une homophobie toujours suspecte – sur plusieurs fils ; il me semble que c’est sur celui de La Reine Margot que j’ai le mieux exprimé ma pensée : droit à l’indifférence, un point, c’est tout. On est comme on est, j’en conviens, mais je refuse que l’on se pare comme un titre de gloire ce qui est une donnée de nature.

Je conviens volontiers aussi que le titre que j’ai donné à mon message était volontairement – mais sûrement pas inutilement – provocateur : en voyant Peter O’Toole gambader comme un elfe sur le toit d’un train, et animant ses voiles comme Salomé devant le roi Hérode Antipas, j’ai effectivement pensé à Priscilla folle du désert et j’ai goguenardé là-dessus. Le droit à l’indifférence, c’est aussi le droit au sarcasme ; si l’on s’interdit de se moquer des Noirs, des Juifs ou des Nippons comme on se moque des Corses, des Auvergnats ou des Écossais, c’est qu’on est déjà contaminé par la doxa ; j’ai tout à fait le droit de me moquer des homos (et réciproquement) parce que je n’ai précisément pas une attitude révérencielle envers qui que ce soit.

Ce qui est amusant, c’est que les messages se formalisent précisément de cette goguenardise envers le troisième sexe, alors qu’ils se seraient employés à meilleur escient vis-à-vis de ma détestation de l’action politique de Lawrence ; on aurait pu s’indigner – tout aussi vertueusement – que j’émette la moindre critique envers la politique d‘émancipation des peuples, et singulièrement du peuple arabe, que portait Lawrence ; je suis, en effet, un défenseur des Empires, qui regrette bien que l’Austro-Hongrois tout autant que l’Ottoman aient été rayés du périmètre du monde civilisé après la Grande guerre, et cela me semble d’une bien plus grande importance que la pédérastie réelle ou supposée de ce défaiseur de stabilités.

J’ignore si Lawrence était effectivement pédéraste ; je dis que le film, qui le voit objet des assiduités de deux charmants adolescents, qui veulent devenir ses serviteurs, va tout à fait dans ce sens, ce qui peut me faire sourire et me moquer, mais en aucun cas sortir ma Kalachnikov ; je garde cet engin-là pour des causes qui en valent la peine, la grammaire et la théologie, notamment.

Est-ce là un travers de ma formation qui remonte aux années Soixante (et non Soixante-Dix, ; en 70, déjà, tout est foutu : mai 68 le détestable est passé par là !) ? C’est fort possible ! Ceux qui sont d’une génération morale, où l’équivalence des idées et des comportements est reine, où chacun a le droit de vivre sa vie, quelle qu’en soit la conséquence pour le corps social, peuvent s’indigner qu’une critique soit moqueuse, injuste, parcellaire, agressive, démesurée : le grand silence du respectable (respect, le mot le plus répugnant du politiquement correct) a déjà envahi tant de (pourtant bonnes) cervelles que rien ne m’étonne plus.

Voilà de bien grands mots pour un film qui ne mérite que des bâillements !

Leave a Reply